Page:Durkheim - De la division du travail social.djvu/126

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développé. Ainsi la représentation d’un sentiment contraire au nôtre agit en nous dans le même sens et de la même manière que le sentiment dont elle est le substitut ; c’est comme s’il était lui-même entré dans notre conscience. Elle a, en effet, les mêmes affinités, quoique moins vives ; elle tend à éveiller les mêmes idées, les mêmes mouvements, les mêmes émotions. Elle oppose donc une résistance au jeu de notre sentiment personnel et, par suite, l’affaiblit, en attirant dans une direction contraire toute une partie de notre énergie. C’est comme si une force étrangère s’était introduite en nous de nature à déconcerter le libre fonctionnement de notre vie psychique. Voilà pourquoi une conviction opposée à la nôtre ne peut se manifester en notre présence sans nous troubler ; c’est que, du même coup, elle pénètre en nous et, se trouvant en antagonisme avec tout ce qu’elle y rencontre, y détermine de véritables désordres. Sans doute, tant que le conflit n’éclate qu’entre des idées abstraites, il n’a rien de bien douloureux, parce qu’il n’a rien de bien profond. La région de ces idées est à la fois la plus élevée et la plus superficielle de la conscience, et les changements qui y surviennent, n’ayant pas de répercussions étendues, ne nous affectent que faiblement. Mais quand il s’agit d’une croyance qui nous est chère, nous ne permettons pas et ne pouvons pas permettre qu’on y porte impunément la main. Toute offense dirigée contre elle suscite une réaction émotionnelle, plus ou moins violente, qui se tourne contre l’offenseur. Nous nous emportons, nous nous indignons contre lui, nous lui en voulons, et les sentiments ainsi soulevés ne peuvent pas ne pas se traduire par des actes ; nous le fuyons, nous le tenons à distance, nous l’exilons de notre société, etc.

Nous ne prétendons pas sans doute que toute conviction forte soit nécessairement intolérante ; l’observation courante suffit à démontrer le contraire. Mais c’est que des causes extérieures neutralisent alors celles dont nous venons d’analyser les effets. Par exemple, il peut y avoir entre les adversaires une