Page:Durkheim - De la division du travail social.djvu/133

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dire, sur lui-même. On ne se contente plus d’échanger des impressions quand on en trouve l’occasion, de se rapprocher ici ou là suivant les hasards ou la plus grande commodité des rencontres ; mais l’émoi qui a gagné de proche en proche pousse violemment les uns vers les autres tous ceux qui se ressemblent et les réunit en un même lieu. Ce resserrement matériel de l’agrégat, en rendant plus intime la pénétration mutuelle des esprits, rend aussi plus tacites tous les mouvements d’ensemble ; les réactions émotionnelles, dont chaque conscience est le théâtre, sont donc dans les conditions les plus favorables pour s’unifier. Cependant, si elles étaient trop diverses, soit en qualité, soit en quantité, une fusion complète serait impossible entre ces éléments partiellement hétérogènes et irréductibles. Mais nous savons que les sentiments qui les déterminent sont très définis et, par conséquent, très uniformes. Elles participent donc à la même uniformité et, par suite, viennent tout naturellement se perdre les unes dans les autres, se confondre en une résultante unique qui leur sert de substitut et qui est exercée, non par chacun isolément, mais par le corps social ainsi constitué.

Bien des faits tendent à prouver que telle fut historiquement la genèse de la peine. On sait, en effet, qu’à l’origine, c’est l’assemblée du peuple tout entière qui faisait fonction de tribunal. Si même on se reporte aux exemples que nous citions tout à l’heure d’après le Pentateuque[1], on y verra les choses se passer comme nous venons de les décrire. Dès que la nouvelle du crime s’est répandue, le peuple se réunit et, quoique la peine ne soit pas prédéterminée, la réaction se fait avec unité. C’était même, dans certains cas, le peuple lui-même qui exécutait collectivement la sentence aussitôt après qu’il l’avait prononcée[2]. Puis, là où l’assemblée s’incarna dans la personne d’un chef, celui-ci devint, totalement ou en partie, l’organe de la réaction pénale, et l’orga-

  1. V. plus haut, p. 101.n.2.
  2. V. Thonissen, Études, etc., II, p. 30 et 232. — Les témoins du crime jouaient parfois un rôle prépondérant dans l’exécution.