Page:Durkheim - De la division du travail social.djvu/138

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sociale en maintenant toute sa vitalité à la conscience commune. Niée aussi catégoriquement, celle-ci perdrait nécessairement de son énergie, si une réaction émotionnelle de la communauté ne venait compenser cette perte, et il en résulterait un relâchement de la solidarité sociale. Il faut donc qu’elle s’affirme avec éclat au moment où elle est contredite, et le seul moyen de s’affirmer est d’exprimer l’aversion unanime que le crime continue à inspirer, par un acte authentique qui ne peut consister que dans une douleur infligée à l’agent. Ainsi, tout en étant un produit nécessaire des causes qui l’engendrent, cette douleur n’est pas une cruauté gratuite. C’est le signe qui atteste que les sentiments collectifs sont toujours collectifs, que la communion des esprits dans la même foi reste tout entière, et, par là, elle répare le mal que le crime a fait à la société. Voilà pourquoi on a raison de dire que le criminel doit souffrir en proportion de son crime, pourquoi les théories qui refusent à la peine tout caractère expiatoire paraissent à tant d’esprits subversives de l’ordre social. C’est qu’en effet ces doctrines ne pourraient être pratiquées que dans une société où toute conscience commune serait à peu près abolie. Sans cette satisfaction nécessaire, ce qu’on appelle la conscience morale ne pourrait pas être conservé. On peut donc dire sans paradoxe que le châtiment est surtout destiné à agir sur les honnêtes gens ; car, puisqu’il sert à guérir les blessures faites aux sentiments collectifs, il ne peut remplir ce rôle que là où les sentiments existent et dans la mesure où ils sont vivants. Sans doute, en prévenant chez les esprits déjà ébranlés un affaiblissement nouveau de l’âme collective, il peut bien empêcher les attentats de se multiplier ; mais ce résultat, d’ailleurs utile, n’est qu’un contre-coup particulier. En un mot, pour se faire une idée exacte de la peine, il faut réconcilier les deux théories contraires qui en ont été données : celle qui y voit une expiation et celle qui en fait une arme de défense sociale. Il est certain, en effet, qu’elle a pour fonction de protéger la société, mais c’est parce qu’elle est expiatoire ; et d’autre part, si elle doit être expia-