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II


Autant qu’on peut juger de l’état du droit dans les sociétés tout à fait inférieures, il paraît être tout entier répressif. « Le sauvage, dit Lubbock, n’est libre nulle part. Dans le monde entier, la vie quotidienne du sauvage est réglée par une quantité de coutumes (aussi impérieuses que des lois) compliquées et souvent fort incommodes, de défenses et de privilèges absurdes. De nombreux règlements fort sévères, quoiqu’ils ne soient pas écrits, compassent tous les actes de leur vie[1]. » On sait, en effet, avec quelle facilité chez les peuples primitifs les manières d’agir se consolident en pratiques traditionnelles, et, d’autre part, combien est grande chez eux la force de la tradition. Les mœurs des ancêtres y sont entourées de tant de respect qu’on ne peut y déroger sans être puni.

Mais de telles observations manquent nécessairement de précision, car rien n’est difficile à saisir comme des coutumes aussi flottantes. Pour que notre expérience soit conduite avec méthode, il faut la faire porter autant que possible sur des droits écrits.

Les quatre derniers livres du Pentateuque, l’Exode, le Lévitique, les Nombres, le Deutéronome représentent le plus ancien monument de ce genre que nous possédions[2]. Sur ces quatre ou cinq mille versets, il n’y en a qu’un nombre relativement infime où soient exprimées des règles qui puissent, à la rigueur,

  1. Lublock, Les Origines de la civilisation, p. 440. — Cf. Spencer, Sociologie, p. 435.
  2. Nous n’avons pas à nous prononcer sur l’antiquité réelle de l’ouvrage — il nous suffit qu’il se rapporte à une société de type très inférieur — ni sur l’antiquité relative des parties qui le composent, car, au point de vue qui nous occupe, elles présentent toutes sensiblement le même caractère. Nous les prenons donc en bloc.