Page:Durkheim - De la division du travail social.djvu/207

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seulement il ne se produit pas de nouveaux proverbes, mais les anciens s’oblitèrent peu à peu, perdent leur acception propre pour finir même par n’être plus entendus du tout. Ce qui montre bien que c’est surtout dans les sociétés inférieures qu’ils trouvent leur terrain de prédilection, c’est qu’aujourd’hui ils ne parviennent à se maintenir que dans les classes les moins élevées[1]. Or, un proverbe est l’expression condensée d’une idée ou d’un sentiment collectifs, relatifs à une catégorie déterminée d’objets. Il est même impossible qu’il y ait des croyances ou des sentiments de cette nature sans qu’ils se fixent sous cette forme. Comme toute pensée tend vers une expression qui lui soit adéquate, si elle est commune à un certain nombre d’individus, elle finit nécessairement par se renfermer dans une formule qui leur est également commune. Toute fonction qui dure se fait un organe à son image. C’est donc à tort que, pour expliquer la décadence des proverbes, on a invoqué notre goût réaliste et notre humeur scientifique. Nous n’apportons pas dans le langage de la conversation un tel souci de la précision ni un tel dédain des images ; tout au contraire, nous trouvons beaucoup de saveur aux vieux proverbes qui nous sont conservés. D’ailleurs, l’image n’est pas un élément inhérent du proverbe ; c’est un des moyens, mais non pas le seul, par lequel se condense la pensée collective. Seulement, ces formules brèves finissent par devenir trop étroites pour contenir la diversité des sentiments individuels. Leur unité n’est plus en rapport avec les divergences qui se sont produites. Aussi ne parviennent-elles à se maintenir qu’en prenant une signification plus générale, pour disparaître peu à peu. L’organe s’atrophie parce que la fonction ne s’exerce plus, c’est-à-dire parce qu’il y a moins de représentations collectives assez définies pour s’enfermer dans une forme déterminée.

  1. Wilhelm Borchardt. Die Sprichwörtlichen Redensarten. Leipzig, 1888, XII. — Cf. V. Wyss. Die Sprichwörter bei den Roemischen Komikern. Zurich, 1889.