Page:Durkheim - De la division du travail social.djvu/216

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agrégat encore plus étendu, et c’est de cette série d’emboîtements successifs que résulte l’unité de la société totale. Ainsi, chez les Kabyles, l’unité politique est le clan, fixé sous forme de village (djemmaa ou thaddart) ; plusieurs djemmaa forment une tribu (arch), et plusieurs tribus forment la confédération (thak’ebilt), la plus haute société politique que connaissent les Kabyles. De même chez les Juifs, le clan, c’est ce que les traducteurs appellent assez improprement la famille, vaste société qui renfermait des milliers de personnes, descendues, d’après la tradition, d’un même ancêtre[1]. Un certain nombre de familles composait la tribu, et la réunion des douze tribus formait l’ensemble de la société juive. D’autre part, l’emboîtement de ces segments les uns dans les autres est plus ou moins hermétique, ce qui fait que la cohésion de ces sociétés varie depuis un état presque absolument chaotique jusqu’à la parfaite unité morale que présente le peuple juif. Mais ces différences laissent intacts les traits constitutifs que nous avons indiqués.

Ces sociétés sont si bien le lieu d’élection de la solidarité mécanique que c’est d’elle que dérivent leurs principaux caractères physiologiques.

Nous savons que la religion y pénètre toute la vie sociale, mais c’est parce que la vie sociale y est faite presque exclusivement de croyances et de pratiques communes qui tirent d’une adhésion unanime une intensité toute particulière. Remontant par la seule analyse des textes classiques jusqu’à une époque tout à fait analogue à celle dont nous parlons, M. Fustel de Coulanges a découvert que l’organisation primitive des sociétés était de nature familiale, et que, d’autre part, la constitution de la famille primitive avait la religion pour base. Seulement, il a pris la cause pour l’effet. Après avoir posé l’idée religieuse, sans

  1. Ainsi la tribu de Ruben, qui comprenait en tout quatre familles, comptait, d’après les Nombres (XXVI, 7), plus de quarante-trois mille adultes au-dessus de vingt ans. (Cf. Nombres, ch. III, 15 et suiv. ; Josué, VII, 14. — V. Munck, Palestine, p. 116, 123, 191.)