Page:Durkheim - De la division du travail social.djvu/254

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chose avant le terme convenu, si ce dernier en a un pressant besoin (art. 1189). Mais ce qui montre mieux encore que les contrats donnent naissance à des obligations qui n’ont pas été contractées, c’est qu’ils « obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que l’équité, l’usage ou la loi donnent à l’obligation d’après sa nature » (art. 1135). En vertu de ce principe, on doit suppléer dans le contrat « les clauses qui y sont d’usage, quoiqu’elles n’y soient pas exprimées » (art. 1160).

Mais alors même que l’action sociale ne s’exprime pas sous cette forme expresse, elle ne cesse pas d’être réelle. En effet, cette possibilité de déroger à la loi, qui semble réduire le droit contractuel au rôle de substitut éventuel des contrats proprement dits, est, dans la très grande généralité des cas, purement théorique. Pour s’en convaincre, il suffit de se représenter en quoi il consiste.

Sans doute, quand les hommes s’unissent par le contrat, c’est que, par suite de la division du travail, ou simple ou complexe, ils ont besoin les uns des autres. Mais, pour qu’ils coopèrent harmoniquement, il ne suffit ni qu’ils entrent en rapport, ni même qu’ils sentent l’état de mutuelle dépendance où ils se trouvent. Il faut encore que les conditions de cette coopération soient fixées pour toute la durée de leurs relations. Il faut que les devoirs et les droits de chacun soient définis, non seulement en vue de la situation telle qu’elle se présente au moment où se noue le contrat, mais en prévision des circonstances qui peuvent se produire et la modifier. Autrement, ce serait à chaque instant des conflits et des tiraillements nouveaux. Il ne faut pas oublier en effet que, si la division du travail rend les intérêts solidaires, elle ne les confond pas : elle les laisse distincts et rivaux. De même qu’à l’intérieur de l’organisme individuel chaque organe est en antagonisme avec les autres, tout en coopérant avec eux, chacun des contractants, tout en ayant besoin de l’autre, cherche à obtenir aux moindres frais ce dont il a besoin,