Page:Durkheim - De la division du travail social.djvu/336

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cher les causes de cette régression. Sans doute, en faisant voir avec quelle régularité elle se produit, nous avons directement établi qu’elle dépend certainement de quelques conditions fondamentales de l’évolution sociale. Mais cette conclusion du livre précédent serait plus incontestable encore si nous pouvions trouver quelles sont ces conditions.

Cette question est d’ailleurs solidaire de celle que nous sommes en train de traiter. Nous venons de montrer que les progrès de la division du travail sont dus à la pression plus forte exercée par les unités sociales les unes sur les autres et qui les oblige à se développer dans des sens de plus en plus divergents. Mais cette pression est à chaque instant neutralisée par une pression en sens contraire que la conscience commune exerce sur chaque conscience particulière. Tandis que l’une nous pousse à nous faire une personnalité distincte, l’autre au contraire nous fait une loi de ressembler à tout le monde. Tandis que la première nous incline à suivre la pente de notre nature personnelle, la seconde nous retient et nous empêche de dévier du type collectif. En d’autres termes, pour que la division du travail puisse naître et croître, il ne suffit pas qu’il y ait chez les individus des germes d’aptitudes spéciales, ni qu’ils soient incités à varier dans le sens de ces aptitudes ; mais il faut encore que les variations individuelles soient possibles. Or, elles ne peuvent se produire quand elles sont en opposition avec quelque état fort et défini de la conscience collective ; car, plus un état est fort, et plus il résiste à tout ce qui peut l’affaiblir ; plus il est défini, moins il laisse de place aux changements. On peut donc prévoir que le progrès de la division du travail sera d’autant plus difficile et lent que la conscience commune aura plus de vitalité et de précision. Inversement, il sera d’autant plus rapide que l’individu pourra plus facilement se mettre en harmonie avec son milieu personnel. Mais, pour cela, il ne suffit pas que ce milieu existe, il faut encore que chacun soit libre de s’y adapter, c’est-à-dire soit capable de se mouvoir avec indépendance, alors