Page:Durkheim - De la division du travail social.djvu/34

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

des actes parfaitement immoraux et qui pourtant seraient à l’occasion très profitables à la société.

Inversement, il y a bon nombre de pratiques morales qui ne sont pas moins obligatoires que d’autres sans que pourtant il soit possible d’apercevoir quels services elles rendent à la communauté. Quelle est l’utilité sociale de ce culte des morts dont la violation cependant nous est particulièrement odieuse ? de la pudeur raffinée que les classes cultivées observent comme un devoir impératif ? M. Spencer a fort bien démontré que la large philanthropie qui est maintenant entrée dans nos mœurs est non seulement inutile, mais nuisible à la société. Elle a pour résultat de conserver à la vie et de mettre à la charge commune une multitude d’incapables qui non seulement ne servent à rien, mais encore gênent par leur présence le libre développement des autres. Il est incontestable que nous entretenons dans nos hôpitaux toute une population de crétins, d’idiots, d’aliénés, d’incurables de toute sorte qui ne sont utilisables d’aucune manière et dont l’existence est ainsi prolongée grâce aux privations que s’imposent les travailleurs sains et normaux ; il n’y a pas de subtilité dialectique qui puisse prévaloir contre l’évidence des faits[1]. On objecte que ces infirmités irrémédiables sont l’exception[2] ; mais que de tempéraments simplement débiles sont mis en état de durer grâce à cette même philanthropie, et cela au détriment de la santé moyenne et du bien-être collectif ! Sans parler des scrofuleux, des phtisiques, des rachitiques qui ne peuvent jamais être que de médiocres travailleurs et qui ne peuvent guère rapporter à la société autant qu’ils lui coûtent, il y a dans les nations contemporaines une foule toujours croissante de ces dégénérés, candidats perpétuels au suicide et au crime, ouvriers de désordre et de désorganisation, auxquels nous prodiguons des soins maternels, dont nous favorisons pour ainsi dire l’essor, quoiqu’ils soient pour l’avenir une menace

  1. V. Spencer, Introduction à la science sociale, p. 360.
  2. V. Fouillée, Propriété sociale, p. 83.