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CHAPITRE V


CONSÉQUENCES DE CE QUI PRÉCÈDE


I

Ce qui précède nous permet de mieux comprendre la manière dont la division du travail fonctionne dans la société.

À ce point de vue, la division du travail social se distingue de la division du travail physiologique par un caractère essentiel. Dans l’organisme, chaque cellule a son rôle défini et ne peut en changer. Dans la société, les tâches n’ont jamais été réparties d’une manière aussi immuable. Là même où les cadres de l’organisation sont le plus rigides, l’individu peut se mouvoir à l’intérieur de celui où le sort l’a fixé, avec une certaine liberté. Dans la Rome primitive, le plébéien pouvait librement entreprendre toutes les fonctions qui n’étaient pas exclusivement réservées aux patriciens : dans l’Inde même, les carrières attribuées à chaque caste avaient une suffisante généralité[1] pour laisser la place à un certain choix. Dans tout pays, si l’ennemi s’est emparé de la capitale, c’est-à-dire du cerveau même de la nation, la vie sociale n’est pas suspendue pour cela, mais, au bout d’un temps relativement court, une autre ville se trouve en état de remplir cette fonction complexe à laquelle pourtant rien ne l’avait préparée.

À mesure que le travail se divise davantage, cette souplesse et

  1. Lois du Manou, I, 87-91.