Page:Durkheim - De la division du travail social.djvu/420

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fort ou tel autre changement dans la condition du travail, mais ils ne tenaient pas le patron pour un ennemi perpétuel auquel on obéit par contrainte. On voulait le faire céder sur un point et on s’y employait avec énergie, mais la lutte n’était pas éternelle ; les ateliers ne contenaient pas deux races ennemies : nos doctrines socialistes étaient inconnues[1]. » Enfin, au xviie siècle, commence la troisième phase de cette histoire des classes ouvrières : l’avènement de la grande industrie. L’ouvrier se sépare plus complètement du patron. « Il est en quelque sorte enrégimenté. Chacun a sa fonction, et le système de la division du travail fait quelques progrès. Dans la manufacture des Van-Robais, qui occupait 1692 ouvriers, il y avait des ateliers particuliers pour la charronnerie, pour la coutellerie, pour le lavage, pour la teinture, pour l’ourdissage, et les ateliers du tissage comprenaient eux-mêmes plusieurs espèces d’ouvriers dont le travail était entièrement distinct[2]. » En même temps que la spécialisation devient plus grande, les révoltes deviennent plus fréquentes. « La moindre cause de mécontentement suffisait pour jeter l’interdit sur une maison, et malheur au compagnon qui n’aurait pas respecté l’arrêt de la communauté[3]. » On sait assez que, depuis, la guerre est toujours devenue plus violente.

Nous verrons, il est vrai, dans le chapitre suivant que cette tension des rapports sociaux est due en partie à ce que les classes ouvrières ne veulent pas vraiment la condition qui leur est faite, mais ne l’acceptent trop souvent que contraintes et forcées, n’ayant pas les moyens d’en conquérir d’autres. Cependant, cette contrainte ne saurait à elle seule rendre compte du phénomène. En effet, elle ne pèse pas moins lourdement sur tous les déshérités de la fortune d’une manière générale, et pourtant cet état d’hostilité permanente est tout à fait particulier au monde industriel. Ensuite, à l’intérieur de ce monde, elle est la même pour

  1. Hubert Valleroux, Les Corporations d’arts et de métiers, p. 49
  2. Levasseur, II, 315.
  3. Levasseur, II, 319.