Page:Durkheim - De la division du travail social.djvu/422

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préoccuper de savoir si elles servent à quelque chose et tendent quelque part. « Cette division du travail intellectuel, dit M. Schaeffle, donne de sérieuses raisons de craindre que ce retour d’un nouvel Alexandrinisme n’amène une nouvelle fois à sa suite la ruine de toute science[1]. »


II

Ce qui fait la gravité de ces faits, c’est qu’on y a vu quelquefois un effet nécessaire de la division du travail, dès qu’elle a dépassé un certain degré de développement. Dans ce cas, dit-on, l’individu, courbé sur sa tâche, cesse de regarder au delà de la petite sphère où il s’agite ; il s’isole dans son activité spéciale ; il ne sent plus les collaborateurs qui travaillent à côté de lui à la même œuvre que lui, il n’a même plus du tout l’idée de cette œuvre commune. La division du travail ne saurait donc être poussée trop loin sans devenir une source de désintégration. « Toute décomposition quelconque, dit Auguste Comte, devant nécessairement tendre à déterminer une dispersion correspondante, la répartition fondamentale des travaux humains ne saurait éviter de susciter à un degré proportionnel les divergences individuelles, à la fois intellectuelles et morales, dont l’influence combinée doit exiger dans la même mesure une discipline permanente, propre à prévenir ou à contenir sans cesse leur essor discordant. Si d’une part, en effet, la séparation des fonctions sociales permet à l’esprit de détail un heureux développement, impossible de toute autre manière, elle tend spontanément d’une autre part à étouffer l’esprit d’ensemble ou, du moins, à l’entraver profondément. Pareillement, sous le point de vue moral, en même temps que chacun est ainsi placé sous une étroite dépendance

  1. Bau und Leben des socialen Koerpers, IV, 113.