Page:Durkheim - De la division du travail social.djvu/442

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de substitution dont nous avons parlé. Il n’en est pas de même dans les sociétés. Ici, la contingence est plus grande ; il y a une plus large distance entre les dispositions héréditaires de l’individu et la fonction sociale qu’il remplira ; les premières n’entraînent pas les secondes avec une nécessité aussi immédiate. Cet espace, ouvert aux tâtonnements et à la délibération, l’est aussi au jeu d’une multitude de causes qui peuvent faire dévier la nature individuelle de sa direction normale et créer un état pathologique. Parce que cette organisation est plus souple, elle est aussi plus délicate et plus accessible au changement. Sans doute, nous ne sommes pas, dès notre naissance, prédestinés à tel emploi spécial ; nous avons cependant des goûts et des aptitudes qui limitent notre choix. S’il n’en est pas tenu compte, s’ils sont sans cesse froissés par nos occupations quotidiennes, nous souffrons et nous cherchons un moyen de mettre un terme à nos souffrances. Or, il n’en est pas d’autre que de changer l’ordre établi et d’en refaire un nouveau. Pour que la division du travail produise la solidarité, il ne suffit donc pas que chacun ait sa tâche, il faut encore que cette tâche lui convienne.

Or, c’est cette condition qui n’est pas réalisée dans l’exemple que nous examinons. En effet, si l’institution des classes ou des castes donne parfois naissance à des tiraillements douloureux au lieu de produire la solidarité, c’est que la distribution des fonctions sociales sur laquelle elle repose ne répond pas, ou plutôt ne répond plus à la distribution des talents naturels. Car, quoi qu’on en ait dit[1], ce n’est pas uniquement par esprit d’imitation que les classes inférieures finissent par ambitionner la vie des classes plus élevées. Même, à vrai dire, l’imitation ne peut rien expliquer à elle seule, car elle suppose autre chose qu’elle-même. Elle n’est possible qu’entre des êtres qui se ressemblent déjà et dans la mesure où ils se ressemblent ; elle ne se produit pas entre espèces ou variétés différentes. Il en est de la contagion

  1. Tarde, Lois de l’imitation.