Page:Durkheim - De la division du travail social.djvu/456

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créant un autre monde d’où il la domine, à savoir la société[1].

La tâche des sociétés les plus avancées est donc, peut-on dire, une œuvre de justice. Qu’en fait elles sentent la nécessité de s’orienter dans ce sens, c’est ce que nous avons montré déjà et ce que nous prouve l’expérience de chaque jour. De même que l’idéal des sociétés inférieures était de créer ou de maintenir une vie commune aussi intense que possible, où l’individu vînt s’absorber, le nôtre est de mettre toujours plus d’équité dans nos rapports sociaux, afin d’assurer le libre déploiement de toutes les forces socialement utiles. Cependant, quand on songe que, pendant des siècles, les hommes se sont contentés d’une justice beaucoup moins parfaite, on se prend à se demander si ces aspirations ne seraient pas dues peut-être à des impatiences sans raison, si elles ne représentent pas une déviation de l’état normal plutôt qu’une anticipation de l’état normal à venir, si, en un mot, le moyen de guérir le mal dont elles révèlent l’existence est de les satisfaire ou de les combattre. Les propositions établies dans les livres précédents nous ont permis de répondre avec précision à cette question qui nous préoccupe. Il n’est pas de besoins mieux fondés que ces tendances, car elles sont une conséquence nécessaire des changements qui se sont faits dans la structure des sociétés. Parce que le type segmentaire s’efface et que le type organisé se développe, parce que la solidarité organique se substitue peu à peu à celle qui résulte des ressemblances, il est indispensable que les conditions extérieures se nivellent. L’harmonie des fonctions et, par suite, l’existence sont à ce prix. De même que les peuples anciens avaient, avant tout, besoin de foi commune pour vivre, nous, nous avons besoin de justice, et on peut être certain que ce besoin deviendra toujours plus exigeant si, comme tout le fait prévoir, les conditions qui dominent l’évolution sociale restent les mêmes.


  1. V. liv. II, ch. V. — On voit une fois de plus que le contrat libre ne se suffit pas à soi-même, puisqu’il n’est possible que grâce à une organisation sociale très complexe.