Page:Durkheim - De la division du travail social.djvu/458

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de supprimer les emplois inutiles, de distribuer le travail de manière à ce que chacun soit suffisamment occupé, d’augmenter par conséquent l’activité fonctionnelle de chaque travailleur, et l’ordre renaîtra spontanément en même temps que le travail sera plus économiquement aménagé. Comment cela se fait-il ? C’est ce qu’on voit mal au premier abord. Car enfin, si chaque fonctionnaire a une tâche bien déterminée, s’il s’en acquitte exactement, il aura nécessairement besoin des fonctionnaires voisins et il ne pourra pas ne pas s’en sentir solidaire. Qu’importe que cette tâche soit petite ou grande, pourvu qu’elle soit spéciale ? Qu’importe qu’elle absorbe ou non son temps et ses forces ?

Il importe beaucoup au contraire. C’est qu’en effet, d’une manière générale, la solidarité dépend très étroitement de l’activité fonctionnelle des parties spécialisées. Ces deux termes varient l’un comme l’autre. Là où les fonctions sont languissantes, elles ont beau être spéciales, elles se coordonnent mal entre elles et sentent incomplètement leur mutuelle dépendance. Quelques exemples vont rendre ce fait très sensible. Chez un homme, « la suffocation oppose une résistance au passage du sang à travers les capillaires, et cet obstacle est suivi d’une congestion et d’arrêt du cœur ; en quelques secondes, il se produit un grand trouble dans tout l’organisme, et au bout d’une minute ou deux les fonctions cessent[1]. » La vie tout entière dépend donc très étroitement de la respiration. Mais, chez une grenouille, la respiration peut être suspendue longtemps sans entraîner aucun désordre, soit que l’aération du sang qui s’effectue à travers la peau lui suffise, soit même qu’elle soit totalement privée d’air respirable et se contente de l’oxygène emmagasiné dans ses tissus. Il y a donc une assez grande indépendance et, par conséquent, une solidarité imparfaite entre la fonction de respiration de la grenouille et les autres fonctions de l’organisme, puisque

  1. Spencer, Principes de biologie, ii, 131.