Page:Durkheim - De la division du travail social.djvu/475

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Remarquons tout d’abord qu’il est difficile de voir pourquoi il serait plus dans la logique de la nature humaine de se développer en surface qu’en profondeur. Pourquoi une activité plus étendue, mais plus dispersée, serait-elle supérieure à une activité plus concentrée, mais circonscrite ? Pourquoi y aurait-il plus de dignité à être complet et médiocre, qu’à vivre d’une vie plus spéciale, mais plus intense, surtout s’il nous est possible de retrouver ce que nous perdons ainsi, par notre association avec d’autres êtres qui possèdent ce qui nous manque et qui nous complètent. On part de ce principe que l’homme doit réaliser sa nature d’homme, accomplir son οἰκεῖον ἔργον, comme disait Aristote. Mais cette nature ne reste pas constante aux différents moments de l’histoire : elle se modifie avec les sociétés. Chez les peuples inférieurs, l’acte propre de l’homme est de ressembler à ses compagnons, de réaliser en lui tous les traits du type collectif que l’on confond alors, plus encore qu’aujourd’hui, avec le type humain. Mais, dans les sociétés plus avancées, sa nature est en grande partie d’être un organe de la société, et son acte propre, par conséquent, est de jouer son rôle d’organe.

Il y a plus : loin d’être entamée par les progrès de la spécialisation, la personnalité individuelle se développe avec la division du travail.

En effet, être une personne, c’est être une source autonome d’action. L’homme n’acquiert donc cette qualité que dans la mesure où il y a en lui quelque chose qui est à lui, à lui seul et qui l’individualise, où il est plus qu’une simple incarnation du type générique de sa race et de son groupe. On dira que, en tout état de cause, il est doué de libre arbitre et que cela suffit à fonder sa personnalité. Mais, quoi qu’il en soit de cette liberté, objet de tant de discussions, ce n’est pas cet attribut métaphysique, impersonnel, invariable, qui peut servir de base unique à la personnalité concrète, empirique et variable des individus. Celle-ci ne saurait être constituée par le pouvoir tout abstrait de choisir entre deux contraires ; mais encore faut-il