Page:Durkheim - De la division du travail social.djvu/477

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avons montré plus haut comment l’activité devient plus riche et plus intense à mesure qu’elle devient plus spéciale[1].

Ainsi, les progrès de la personnalité individuelle et ceux de la division du travail dépendent d’une seule et même cause. Il est donc impossible de vouloir les uns sans vouloir les autres. Or, nul ne conteste aujourd’hui le caractère obligatoire de la règle qui nous ordonne d’être, et d’être de plus en plus, une personne.


Une dernière considération va faire voir à quel point la division du travail est liée à toute notre vie morale.

C’est un rêve depuis longtemps caressé par les hommes que d’arriver enfin à réaliser dans les faits l’idéal de la fraternité humaine. Les peuples appellent de leurs vœux un état où la guerre ne serait plus la loi des rapports internationaux, où les relations des sociétés entre elles seraient réglées pacifiquement comme le sont déjà celles des individus entre eux, où tous les hommes collaboreraient à la même œuvre et vivraient de la même vie. Quoique ces aspirations soient en partie neutralisées par celles qui ont pour objet la société particulière dont nous faisons partie, elles ne laissent pas d’être très vives et prennent de plus en plus de force. Or, elles ne peuvent être satisfaites que si tous les hommes forment une même société, soumise aux mêmes lois. Car, de même que les conflits privés ne peuvent être contenus que par l’action régulatrice de la société qui enveloppe les individus, les conflits inter-sociaux ne peuvent être contenus que par l’action régulatrice d’une société qui comprenne en son sein toutes les autres. La seule puissance qui puisse servir de modérateur à l’égoïsme individuel est celle du groupe ; la seule qui puisse servir de modérateur à l’égoïsme des groupes est celle d’un autre groupe qui les embrasse.

  1. Voir plus haut, p. 301 et suiv. et p. 346.