Page:Durkheim - De la division du travail social.djvu/50

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sanctionnés de la même manière que les autres. C’est dire qu’ils ne sont individuels qu’en apparence et ne peuvent dépendre eux aussi que de conditions sociales. D’ailleurs, ils ont été conçus de manières différentes suivant les époques. Or, de tous les milieux dans lesquels vit l’homme, il n’y a que le milieu social qui ait passé par des changements assez profonds pour pouvoir rendre compte de ces transformations.


Mais tous les faits moraux sont-ils compris dans cette définition ? Consistent-ils tous en des règles impératives ou bien, au contraire, n’y aurait-il pas en morale une sphère plus élevée qui dépasse le devoir ? L’expérience semble démontrer qu’il y a des actes qui sont louables sans être obligatoires, qu’il y a un libre idéal qu’on est pas tenu d’atteindre. « Par exemple, un homme opulent sera loué d’employer sa fortune à favoriser le développement des arts et des sciences : cela est évidemment bon et louable ; et cependant on ne peut pas dire que ce soit un devoir pour tout homme riche de faire un pareil emploi de sa fortune. On louera, on admirera un homme qui dans une aisance médiocre prendra la charge de secourir et d’élever une famille qui n’est pas la sienne ; cependant celui qui n’agit pas ainsi n’est pas coupable, et comment pourrait-il ne pas être coupable si ce genre d’action était rigoureusement obligatoire[1] ? »

Il y a, il est vrai, des moralistes qui n’admettent pas cette distinction. Suivant M. Janet, si certains actes que nous admirons ne nous paraissent pas obligatoires, c’est qu’ils ne sont effectivement pas obligatoires pour la moyenne des hommes qui n’est pas capable de s’élever à une si haute perfection. Mais si ce n’est pas un devoir pour tout le monde, il ne s’ensuit pas que ce ne soit un devoir pour personne. Tout au contraire, ceux qui sont en état de parvenir à ce degré d’héroïsme ou de sainteté y sont

  1. Janet, la Morale, p. 223.