Page:Durkheim - De la division du travail social.djvu/52

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ces différences et par admettre qu’il existe tout au moins deux formes bien distinctes de la vertu. « La vertu, dit-il, est… dans ce qu’elle a de plus sublime, un acte libre et individuel, qui donne naissance à des formes inattendues de grandeur et de générosité. La forme inférieure de la vertu est la forme légale qui, sans aucune spontanéité, suit fidèlement une règle donnée… Mais la vraie vertu, comme le génie, échappe à la règle ou plutôt crée la règle[1]. »

Mais alors, il semble que notre définition ne comprenne pas tout le défini. Il n’en est rien cependant ; car s’il est vrai qu’il y a des actes qui sont l’objet de l’admiration et qui pourtant ne sont pas obligatoires, il n’est pas exact qu’ils soient moraux. Pour les mettre ainsi en dehors de la morale, il n’est pas nécessaire de nous référer à une notion abstraite de la moralité et de faire voir qu’ils n’en peuvent être déduits. Nous affirmons seulement qu’il serait contraire à toute méthode de réunir sous une même rubrique des actes qui sont astreints à se conformer à une règle préétablie et d’autres qui sont libres de toute réglementation. Si donc, pour rester fidèle à l’usage, on réserve aux premiers la qualification de moraux, on ne saurait la donner également aux seconds. — Mais qui nous dit qu’ils ne jouent pas le même rôle ? — C’est une hypothèse que nous n’avons pas à discuter pour le moment ; car nous n’en avons pas les moyens. Nous cherchons seulement à classer les phénomènes d’après leurs caractères externes les plus importants et il nous paraît impossible de confondre des faits qui présentent des propriétés aussi opposées.

Le contraste qui existe entre eux paraîtra bien plus frappant encore si l’on remarque que le fait moral proprement dit ne consiste pas dans l’acte conforme à la règle, mais dans la règle elle-même. Or, il n’y a pas de règle là où il n’y a pas d’obligation. Libres créations de l’initiative privée, de tels actes ne

  1. Loc. cit., p. 239.