Page:Durkheim - De la division du travail social.djvu/90

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souvent que les mœurs ne sont pas d’accord avec le droit ; on dit sans cesse qu’elles en tempèrent les rigueurs, qu’elles en corrigent les excès formalistes, parfois même qu’elles sont animées d’un tout autre esprit. Ne pourrait-il pas alors se faire qu’elles manifestent d’autres sortes de solidarité sociale que celles qu’exprime le droit positif ?

Mais cette opposition ne se produit que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles. Il faut pour cela que le droit ne corresponde plus à l’état présent de la société et que pourtant il se maintienne, sans raison d’être, par la force de l’habitude. Dans ce cas en effet, les relations nouvelles qui s’établissent malgré lui ne laissent pas de s’organiser ; car elles ne peuvent pas durer sans chercher à se consolider. Seulement, comme elles sont en conflit avec l’ancien droit qui persiste, elles ne peuvent recevoir qu’une organisation un peu flottante ; elles ne dépassent pas le stade des mœurs et ne parviennent pas à entrer dans la vie juridique proprement dite. C’est ainsi que l’antagonisme éclate. Mais il ne peut se produire que dans des cas rares et pathologiques, qui ne peuvent même durer sans danger. Normalement, les mœurs ne s’opposent pas au droit, mais au contraire en sont la base. Il arrive, il est vrai, que sur cette base rien ne s’élève. Il peut y avoir des relations sociales qui ne comportent que cette réglementation diffuse qui vient des mœurs ; mais c’est qu’elles manquent d’importance ou de continuité, sauf bien entendu les cas anormaux dont il vient d’être question. Si donc il peut se faire qu’il y ait des types de solidarité sociale que les mœurs sont seules à manifester, ils sont certainement très secondaires ; au contraire, le droit reproduit tous ceux qui sont essentiels et ce sont les seuls que nous ayons besoin de connaître.

Ira-t-on plus loin et soutiendra-t-on que la solidarité sociale n’est pas tout entière dans ses manifestations sensibles ; que celles-ci ne l’expriment qu’en partie et imparfaitement ; qu’au delà du droit et des mœurs il y a l’état interne d’où elle dérive, et que pour la connaître véritablement il faut l’atteindre en elle--