Page:Durkheim - L'Allemagne au-dessus de tout.djvu/16

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en situation de tirer l’épée comme il veut, il ne mérite plus son nom. « On peut encore, par convenance, par politesse et amabilité, l’appeler un royaume. Mais la science, qui a pour premier devoir de dire la vérité, doit déclarer sans ambages qu’un tel pays n’est plus un État… C’est par là que la couronne de Prusse se distingue des autres États allemands. Seul, le roi de Prusse a qualité pour déclarer la guerre. La Prusse n’a donc pas perdu sa souveraineté comme les autres États[1]. »

La guerre n’est pas seulement inévitable : elle est morale et sainte. Elle est sainte, d’abord parce qu’elle est la condition nécessaire à l’existence des États et que, sans État, l’humanité ne peut pas vivre. « En dehors de l’État, l’humanité ne peut pas respirer[2]. » Mais elle est sainte aussi parce qu’elle est la source des plus hautes vertus morales. C’est elle qui oblige les hommes à maîtriser leur égoïsme naturel ; c’est elle qui les élève jusqu’à la majesté du sacrifice suprême, du sacrifice de soi. Par elle, les volontés particulières, au lieu de s’éparpiller à la poursuite de fins mesquines, se concentrent en vue de grandes choses, « et la petite personnalité de l’individu s’efface et disparaît devant les vastes perspectives qu’embrasse la pensée de l’État ». Par elle, « l’homme goûte la joie de communier avec tous ses compatriotes, savants ou simples d’esprit, dans un seul et même sentiment, et quiconque a goûté ce bonheur n’oublie plus jamais ce qu’il a de doux et de réconfortant ». En un mot, la guerre implique un « idéalisme politique » qui entraîne l’homme à se dépasser soi-même. La paix, au contraire, c’est le « règne du matérialisme » ; c’est le triomphe de l’intérêt personnel sur l’esprit de dévouement et de sacrifice, de la vie médiocre et vulgaire sur la vie noble. C’est le renoncement « paresseux[3] » aux grands desseins et aux grandes ambitions. L’idéal de la paix perpétuelle n’est pas seulement irréalisable ; c’est un scan-

  1. I, p. 39-40.
  2. I, p. 115.
  3. « Der faule Friedenszustand » (I, p. 59).