Page:Durkheim - L'Allemagne au-dessus de tout.djvu/46

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l’état de guerre, car c’est à ce moment que la vie publique est la plus intense. Aussitôt donc que la guerre est déclarée, il s’empare de la conscience allemande, il en chasse les idées et les sentiments qui lui sont contraires et devient maître des volontés. Dès lors, l’individu voit les choses sous un angle spécial et devient capable d’actions que, comme particulier et en temps de paix, il condamnerait avec sévérité.

Par quoi donc se caractérise cette mentalité ?

On l’a, quelquefois, traitée de matérialiste. L’expression est inexacte et injuste. Pour Treitschke, pour Bernhardi, pour tous les théoriciens du pangermanisme, le matérialisme est, au contraire, l’ennemi qu’on ne saurait trop combattre. À leurs yeux, la vie économique n’est que la forme vulgaire et basse de la vie nationale et un peuple qui fait de la richesse le but dernier de ses efforts est condamné à la déchéance. Si, suivant eux, la paix devient un danger moral quand elle se prolonge, c’est qu’elle développe le goût de l’aisance, de la vie facile et douce ; c’est qu’elle flatte nos moins nobles instincts. Si, au contraire, ils font l’apologie de la guerre, c’est qu’elle est une école d’abnégation et de sacrifice. Bien loin qu’ils témoignent aucune complaisance aux appétits sensibles, on sent circuler à travers leur doctrine comme un souffle d’idéalisme ascétique et mystique. La fin à laquelle ils demandent aux hommes de se subordonner dépasse infiniment le cercle des intérêts matériels.

Seulement, cet idéalisme a quelque chose d’anormal et de nocif qui en fait un danger pour l’humanité tout entière.

Il n’y a, en effet, qu’un moyen pour l’État de réaliser cette autonomie intégrale qui est, dit-on, son essence et de se libérer de toute dépendance vis-à-vis des autres États, c’est de les tenir sous sa dépendance. S’il ne leur fait pas la loi, il risque de subir la leur. Pour que, suivant la formule de Treitschke, il n’y ait pas de puissance supérieure à la sienne, il faut que la sienne soit supérieure aux autres. L’indépendance absolue à laquelle il aspire ne peut donc être assurée que par sa suprématie. Sans doute, Treitschke estime qu’il