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V

CARACTÈRE MORBIDE DE CETTE MENTALITÉ


Ainsi, il existe bien un système d’idées que des mains savantes ont organisé dans l’esprit allemand et qui rend compte de ces actes dont on voudrait croire l’Allemagne incapable. Ce système, nous ne l’avons pas reconstruit artificiellement par des procédés indirects ; il s’est offert de lui-même à notre analyse. Les conséquences pratiques qui en dérivent, ce n’est pas nous qui les avons déduites dialectiquement ; elles ont été énoncées, comme légitimes et naturelles, par ceux-là mêmes qui ont le plus contribué à constituer ce système. Nous pouvons voir ainsi par où et comment elles se rattachent à une certaine forme de la mentalité allemande, comme à leur principe. Loin qu’il y ait lieu de s’étonner qu’elles se soient produites, on pouvait facilement les prévoir avant l’événement, comme on prévoit l’effet d’après sa cause.

D’ailleurs, nous n’entendons pas soutenir que les Allemands soient individuellement atteints d’une sorte de perversion morale constitutionnelle qui corresponde aux actes qui leur sont imputés. Treitschke était une nature rude, mais ardente et désintéressée, un caractère d’une haute noblesse, « pleine de condescendance envers les hommes[1] ». Les soldats qui ont commis les atrocités qui nous indignent, les chefs qui les ont prescrites, les ministres qui ont déshonoré leur pays en refusant de faire honneur à sa signature sont, vraisemblablement, au moins pour la plupart, des hommes honnêtes qui pratiquent exactement leurs devoirs quotidiens. Mais le système mental qui vient d’être étudié n’est pas fait pour la vie privée et de tous les jours. Il vise la vie publique, et surtout

  1. A. Guilland, L’Allemagne nouvelle et ses historiens, p. 235.