Page:Durkheim - Le Suicide, Alcan, 1897.djvu/15

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de nouveaux efforts, non pour abdiquer. Une science, née d’hier, a le droit d’errer et de tâtonner, pourvu qu’elle prenne conscience de ses erreurs et de ses tâtonnements de manière à en prévenir le retour. La sociologie ne doit donc renoncer à aucune de ses ambitions ; mais, d’un autre côté, si elle veut répondre aux espérances qu’on a mises en elle, il faut qu’elle aspire à devenir autre chose qu’une forme originale de la littérature philosophique. Que le sociologue, au lieu de se complaire en méditations métaphysiques à propos des choses sociales, prenne pour objets de ses recherches des groupes de faits nettement circonscrits, qui puissent être, en quelque sorte, montrés du doigt, dont on puisse dire où ils commencent et où ils finissent, et qu’il s’y attache fermement ! Qu’il interroge avec soin les disciplines auxiliaires, histoire, ethnographie, statistique, sans lesquelles la sociologie ne peut rien ! S’il a quelque chose à craindre, c’est que, malgré tout, ses informations ne soient jamais en rapport avec la matière qu’il essaie d’embrasser ; car, quelque soin qu’il mette à la délimiter, elle est si riche et si diverse qu’elle contient comme des réserves inépuisables d’imprévu. Mais il n’importe. S’il procède ainsi, alors même que ses inventaires de faits seront incomplets et ses formules trop étroites, il aura, néanmoins, fait un travail utile que l’avenir continuera. Car des conceptions qui ont quelque base objective ne tiennent pas étroitement à la personnalité de leur auteur. Elles ont quelque chose d’impersonnel qui fait que d’autres peuvent les reprendre et les poursuivre ; elles sont susceptibles de transmission. Une certaine suite est ainsi rendue possible dans le travail scientifique et cette continuité est la condition du progrès.

C’est dans cet esprit qu’a été conçu l’ouvrage qu’on va