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Page:Durkheim - Le Suicide, Alcan, 1897.djvu/169

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rigoureusement la même dans l'une et dans l'autre. Voici, en effet, quels ont été en France, pendant les années 1874-78, les rapports centésimaux des principaux mobiles de suicide dans ces deux professions :

Agriculture. Professions libérales.
Perte d'emploi , revers de fortune, misère 8.15 8.87
Chagrins de famille 11.45 13.14
Amour contrarié et jalousie 1.48 2.01
Ivresse et ivrognerie 13.23 6.41
Suicides d'auteurs de crimes ou délits 4.09 4.73
Souffrances physiques 15.91 19.89
Maladies mentales 35.80 34.04


Dégoût de la vie, contrariétés diversses 2.93 4.94


Causes inconnues 3.96 5.97


100 100



Sauf pour l'ivresse et l'ivrognerie, les chiffres, surtout ceux qui ont le plus d'importance numérique, diffèrent bien peu d'une colonne à l'autre. Ainsi, à s'en tenir à la seule considération des mobiles, on pourrait croire que les causes suicidogènes sont, non sans doute de même intensité, mais de même nature dans les deux cas. Et pourtant, en réalité, ce sont des forces très différentes qui poussent au suicide le laboureur et le raffiné des villes. C'est donc que ces raisons que l'on donne au suicide ou que le suicidé se donne à lui-même pour s'expliquer son acte, n'en sont, le plus généralement, que les causes apparentes. Non seulement elles ne sont que les répercussions individuelles d'un état général, mais elles l'expriment très infidèlement, puisqu'elles sont les mêmes alors qu'il est tout autre. Elles marquent, peut-on dire, les points faibles de l'individu, ceux par où le courant, qui vient du dehors l'inciter à se détruire, s'insinue le plus facilement en lui. Mais elles ne font pas partie de ce courant lui-même et ne peuvent, par conséquent, nous aider à le comprendre.