Page:Durkheim - Le Suicide, Alcan, 1897.djvu/17

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pas croire qu’un état général ne puisse être expliqué qu’à l’aide de généralités. Il peut tenir à des causes définies, qui ne sauraient être atteintes si on ne prend soin de les étudier à travers les manifestations, non moins définies, qui les expriment. Or, le suicide, dans l’état où il est aujourd’hui, se trouve justement être une des formes par lesquelles se traduit l’affection collective dont nous souffrons ; c’est pourquoi il nous aidera à la comprendre.

Enfin, on retrouvera dans le cours de cet ouvrage, mais sous une forme concrète et appliquée, les principaux problèmes de méthodologie que nous avons posés et examinés plus spécialement ailleurs[1]. Même parmi ces questions, il en est une à laquelle ce qui suit apporte une contribution trop importante pour que nous ne la signalions pas tout de suite à l’attention du lecteur.

La méthode sociologique, telle que nous la pratiquons, repose tout entière sur ce principe fondamental que les faits sociaux doivent être étudiés comme des choses, c’est-à-dire comme des réalités extérieures à l’individu. Il n’est pas de précepte qui nous ait été plus contesté ; il n’en est pas, cependant, de plus fondamental. Car enfin, pour que la sociologie soit possible, il faut avant tout qu’elle ait un objet et qui ne soit qu’à elle. Il faut qu’elle ait à connaître d’une réalité et qui ne ressortisse pas à d’autres sciences. Mais s’il n’y a rien de réel en dehors des consciences particulières, elle s’évanouit faute de matière qui lui soit propre. Le seul objet auquel puisse désormais s’appliquer l’observation, ce sont les états mentaux de l’individu puisqu’il n’existe rien d’autre ; or c’est affaire à la psychologie d’en traiter. De ce point de vue, en effet, tout ce qu’il y a de substantiel dans

  1. Les règles de la Méthode sociologique, Paris, F. Alcan, 1895.