Page:Durkheim - Le Suicide, Alcan, 1897.djvu/178

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point de vue du suicide, on a constaté que les protestants se tuent beaucoup plus que les catholiques. Il y a même des pays comme le Haut-Palatinat, la Haute-Bavière, où la population est presque tout entière catholique (92 et 96 %) et où, cependant, il y a 300 et 423 suicides protestants pour 100 catholiques. Le rapport même s’élève jusqu’à 528 % dans la Basse-Bavière où la religion réformée ne compte pas tout à fait un fidèle sur 100 habitants. Donc, quand même la prudence obligatoire des minorités serait pour quelque chose dans l’écart si considérable que présentent ces deux religions, la plus grande part en est certainement due à d’autres causes.

C’est dans la nature de ces deux systèmes religieux que nous les trouverons. Cependant, ils prohibent tous les deux le suicide avec la même netteté ; non seulement ils le frappent de peines morales d’une extrême sévérité, mais l’un et l’autre enseignent également qu’au delà dg tombeau commence une vie nouvelle où les hommes seront punis de leurs mauvaises actions, et le protestantisme met le suicide au nombre de ces dernières, tout aussi bien que le catholicisme. Enfin, dans l’un et dans l’autre culte, ces prohibitions ont un caractère divin ; elles ne sont pas présentées comme la conclusion logique d’un raisonnement bien fait, mais leur autorité est celle de Dieu lui-même. Si donc le protestantisme favorise le développement du suicide, ce n’est pas qu’il le traite autrement que ne fait le catholicisme. Mais alors, si, sur ce point particulier, les deux religions ont les mêmes préceptes, leur inégale action sur le suicide doit avoir pour cause quelqu’un des caractères plus généraux par lesquels elles se différencient.

Or, la seule différence essentielle qu’il y ait entre le catholicisme et le protestantisme, c’est que le second admet le libre examen dans une bien plus large proportion que le premier. Sans doute, le catholicisme, par cela seul qu’il est une religion idéaliste, fait déjà à la pensée et à la réflexion une bien plus grande place que le polythéisme gréco-latin ou que le monothéisme juif. Il ne se contente plus de manœuvres machinales, mais c’est sur les consciences qu’il aspire à régner. C’est donc à