Page:Durkheim - Le Suicide, Alcan, 1897.djvu/179

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elles qu'il s'adresse et, alors même qu'il demande à la raison une aveugle soumission, c'est en lui parlant le langage de la raison. Il n'en est pas moins vrai que le catholique reçoit sa foi toute faite, sans examen. Il ne peut même pas la soumettre à un contrôle historique, puisque les textes originaux sur lesquels on l'appuie lui sont interdits. Tout un système hiérarchique d'autorités est organisé, et avec un art merveil­leux, pour rendre la tradition invariable. Tout ce qui est variation est en horreur à la pensée catholique. Le protestant est davantage l'auteur de sa croyance. La Bible est mise entre ses mains et nulle interprétation ne lui en est imposée. La structure même du culte réformé rend sensible cet état d'individualisme religieux. Nulle part, sauf en Angleterre, le clergé protes­tant n'est hiérarchisé ; le prêtre ne relève que de lui-même et de sa conscience, comme le fidèle. C'est un guide plus instruit que le commun des croyants, mais sans autorité spéciale pour fixer le dogme. Mais ce qui atteste le mieux que cette liberté d'examen, proclamée par les fondateurs de la réforme, n'est pas restée à l'état d'affirmation platonique, c'est cette multiplicité croissante de sectes de toute sorte qui contraste si énergiquement avec l'unité indivisible de l'Église catholique.

Nous arrivons donc à ce premier résultat que le penchant du protestantisme pour le suicide doit être en rapport avec l'esprit de libre examen dont est animée cette religion. Attachons-nous à bien comprendre ce rapport. Le libre examen n'est lui-même que l'effet d'une autre cause. Quand il fait son apparition, quand les hommes, après avoir, pendant long­temps, reçu leur foi toute faite de la tradition, réclament le droit de se la faire eux-mêmes, ce n'est pas à cause des attraits intrinsèques de la libre recherche, car elle apporte avec elle autant de douleurs que de joies. Mais c'est qu'ils ont désormais besoin de cette liberté. Or, ce besoin lui-même ne peut avoir qu'une seule cause : c'est l'ébranlement des croyan­ces traditi­on­nelles. Si elles s'imposaient toujours avec la même énergie, on ne pense­rait même pas à en faire la critique. Si elles avaient toujours la même autorité, on ne demanderait pas à vérifier la source de cette autorité. La ré-