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Page:Durkheim - Le Suicide, Alcan, 1897.djvu/236

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Par conséquent, au sein d’une famille peu nombreuse, les sentiments, les souvenirs communs no peuvent pas être très intenses; car il n’y a pas assez de consciences pour se les représenter et les renforcer en les partageant. Il ne saurait s’y former de ces fortes traditions qui servent de liens entre les membres d’un même groupe, qui leur survivent même et rattachent les unes aux autres les générations successives.) D’ailleurs, de petites familles sont nécessairement éphémères; et, sans durée, il n’y a pas de société qui puisse être consistante. Non seulement les états collectifs y sont faibles, mais ils ne peuvent être nombreux; car leur nombre dépend de l’activité avec laquelle les vues et les impressions s’échangent, circulent d’un sujet à l'autre, et, d’autre part, cet échange lui-même est d’autant plus rapide qu’il y a plus de gens pour y participer. Dans une société suffisamment dense, cette circulation est ininterrompue; car il y a toujours des unités sociales en contact, tandis que, si elles sont rares, leurs relations ne peuvent être qu’intermittentes et il y a des moments où la vie commune est suspendue. De même, quand la famille est peu étendue, il y a toujours peu de parents ensemble; la vie domestique est donc languissante et il y a des moments où le foyer est désert.

Mais dire d’un groupe qu’il a une moindre vie commune qu’un autre, c’est dire aussi qu’il est moins fortement intégré; car l’état d’intégration d’un agrégat social ne fait que refléter l’intensité de la vie collective qui y circule. Il est d’autant plus un et d’autant plus résistant que le commerce entre ses membres est plus actif et plus continu. La conclusion à laquelle nous étions arrivé peut donc être complétée ainsi : de même que la famille est un puissant préservatif du suicide, elle en préserve d’autant mieux qu’elle est plus fortement constituée[1].

  1. . Nous venons d’employer le mot de densité dans un sens un peu différent de celui que nous lui donnons d’ordinaire en sociologie. Généralement, nous définissons la densité d’un groupe en fonction, non du nombre absolu des individus associés (c’est plutôt ce que nous appelons le volume), mais du nombre des individus qui, à volume égal, sont effectivement en relations (V. Règles de la Méth. sociol. p. 139). Mais dans le cas de la famille, la distinction entre le volume et la densité est sans intérêt parce que, à cause des dimension du groupe, tous les individus associés sont en relation effective.