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V.


Si les statistiques n’étaient pas aussi récentes, il serait facile de démontrer à l’aide de la même méthode que cette loi s’applique aux sociétés politiques. L’histoire nous apprend, en effet, que le suicide, qui est généralement rare dans les sociétés jeunes[1], en voie d’évolution et de concentration, se multiplie au contraire à mesure qu’elles se désintègrent. En Grèce, à Rome, il apparaît dès que la vieille organisation de la cité est ébranlée et les progrès qu’il y a faits marquent les étapes successives de la décadence. On signale le même fait dans l’empire ottoman. En France, à la veille de la Révolution, le trouble dont était travaillée la société par suite de la décomposition de l’ancien système social se traduisit par une brusque poussée de suicides dont nous parlent les auteurs du temps[2]. Mais, en dehors de ces renseignements historiques, la statistique du suicide, quoiqu’elle ne remonte guère au delà des soixante-dix dernières années, nous fournit de cette proposition quelques preuves qui ont sur les précédentes l’avantage d’une plus grande précision.

On a parfois écrit que les grandes commotions politiques mul-

  1. Ne pas confondre les sociétés jeunes, appelées à un développement, avec les sociétés inférieures ; dans ces dernières, au contraire, les suicides sont très fréquents, comme on le verra au chapitre suivant.
  2. Voici ce qu’écrivait Helvétius en 1781 : d Le désordre des finances et le changement de la constitution de l’État répandirent une consternation générale. De nombreux suicides dans la capitale en pont la triste preuve ». Nous citons d’après Legoyt, p. 30. Mercier, dans son Tableau de Paris (1782), dit qu’en 25 ans le nombre des suicides a triplé à Paris.