Page:Durkheim - Le Suicide, Alcan, 1897.djvu/238

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tipliaient les suicides. Mais Morselli a bien montré que les faits contredisent cette opinion. Toutes les révolutions qui ont eu lieu en France au cours de ce siècle ont diminué le nombre des suicides au moment où elles se sont produites. En 1830, le total des cas tombe de 1904, en 1829, à 1756, soit une diminution brusque de près de 10%. En 1848, la régression n’est pas moins importante ; le montant annuel passe de 3.647 à 3.301. Puis, pendant les années 1848-49, la crise qui vient d’agiter la France fait le tour de l’Europe ; partout, les suicides baissent, et la baisse est d’autant plus sensible que la crise a été plus grave et plus longue. C’est ce que montre le tableau suivant :

DANEMARK. PRUSSE. BAVIÈRE. SAXE ROYALE. AUTRICHE.
1847 345 1.852 217   611 (en 1846)
1848 305 1.649 215 398  
1849 337 1.527 189 328 452

En Allemagne, l’émotion a été beaucoup plus vive qu’en Danemark et la lutte plus longue même qu’en France où, sur-le-champ, un gouvernement nouveau se constitua ; aussi la diminution, dans les États allemands, se prolonge-t-elle jusqu’en 1849. Elle est, par rapport à cette dernière année de 13% en Bavière, de 18% en Prusse ; en Saxe, en une seule année, de 1848 à 1849, elle est de 18% également.

En 1851, le même phénomène ne se reproduit pas en France, non plus qu’en 1852. Les suicides restent stationnaires. Mais, à Paris, le coup d’État produit son effet accoutumé ; quoiqu’il ait été accompli en décembre, le chiffre des suicides tombe de 483 en 1851 à 446 en 1852 (-8%) et, en 1853, ils restent encore à 463[1]. Ce fait tendrait à prouver que cette révolution gouvernementale a beaucoup plus ému Paris que la province, qu’elle semble avoir laissée presque indifférente.

  1. D’après Legoyt, p. 252.