Page:Durkheim - Le Suicide, Alcan, 1897.djvu/246

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224 LE SUICIDE. faire librement, ce qu’elle ne peut plus empùcherjgans la me-’ sure où il est admis qu’ils sont les maîtres de leurs destinées, il leur appartient d’en marquer le terme. De leur côté, une raison leur manque pour supporter avec patience les misères de l’existence. Car, quand ils sont solidaires d’un groupe qu’ils aiment, pour ne pas manquera des intérêts devant lesquels ils sont habitués à incliner les leurs, ils mettent à vivre plus d’obstination. Le lien qui les attache à la cause commune les rattache à la vie et, d’ailleurs, le but élevé sur lequel ils ont les yeux fixés les empêche de sentir aussi vivement les contra- riétés privées.! Enfin, dans une société cohérente et vivace, il y a de tous à chacun et de chacun à tous un continuel échange d’idées et de sentiments et comme une mutuelle assistance mo- rale, qui fait que l’individu, au lieu d’être réduit à ses seules forces, participe à l’énergie^ collective et vient y réconforter la sienne quand elle est à bout.j JMais ces raisons ne sont que secondaires. L’individualisme excessif n’a pas seulement pour résultat de favoriser raCtton "Ses causes suicidogènes, il est, par lui-même, une cause de ce genre. Non seulement il débarrasse d’un obstacle utilement gê-~ nant le penchant qui pousse les hommes à se tuer, mais il crée ce penchant de toutes pièces et donne ainsi naissance à un suicide spécial qu’il marque de son empreinte. C’est ce qu’il importe de bien comprendre, car c’est cela qui fait la nature propre du type de suicide qui vient d’être distingué et c’est par là que se justifie le nom que nous lui avons donné. Qu’y a-t-il donc dans Tindividualisme qui puisse expliquer ce résultat? On a dit quelquefois que, en vertu de sa conslitulion psycho- logique, l’homme ne peut vivre s’il ne s’attache à un objet qui le dépasse et qui lui survive, et on a donné pour raison de cette nécessité un besoin que nous aurions de ne pas périr tout en- tiers. La vie, dit-on, n’est tolérable que si on lui aperçoit quelque raison d’être, que si elle a un but et qui en vaille la peine. Or l’individu, à lui seul, n’est pas une fin suffisante pour son acti- vité. Il est trop peu de chose. Il n’est pas seulement borné dans l’espace, il est étroitement limité dans le temps. Quand