Page:Durkheim - Le Suicide, Alcan, 1897.djvu/250

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228 LE SUICIDE. c’est-à-dire se sent moins solidaire de la confession religieuse dont il fait partie et s’en émancipe, dans la mesure où famille A cité deviennent étrangères à l’individu, il devient pour lui-même un mystère, et alors il ne peut échapper à l’irritante et angois- sante question : à quoi bon?J En d’autres termes, si, comme on l’a dit souvent, Thommeest double, c’est qu’à l’homme physique se surajoute Thomme social. Or ce dernier suppose nécessairement une société qull exprime et qu’il serve.JQu’elle vienne, au contraire, à se désagréger, C[ue nous ne la sentions plus vivante et agissante autour et au-des- sus de nous, et ce qu’il y a de social en nous se trouve dépourvu de tout fondement objectif. Ce n’est plus qu’une combinaisoQ artificielle d’images illusoires, une fantasmagorie qu^un peu de réflexion suffit à faire évanouir; rien, par conséquent, qui puisse servir de fin à nos actes] Et pourtant cet homme social est le tout de l’homme civilisé; c’est lui qui fait le prix de rexistence. [Il en résulte que les raisons de vivre nous manquent; car la seule vie à laquelle nous puissions tenir ne répond plus à rien dans la réalité, et la seule qui soit encore fondée dans le réel ne répond ’ plus à nos besoins; Parce que nous avons été initiés à une exis- tence plus relevée, celle dont se contentent l’enfant et l’animal ne peut plus nous satisfaire et voilà que la première elle-même nous échappe et nous laisse désemparés. Il n’y a donc plus rien à quoi puissent se prendre nos efforts et nous avons la sensation qu’ils se perdent dans le vide. Voilà en quel sens il est vrai de dire qu’il faut à notre activité un objet qui la dépasse. Ce n’est pas qu’il nous soit nécessaire pour nous entretenir dans l’illusion d’une immortalité impossible; c’est qu’il est impliqué dans notre constitution morale et qu’il ne peut se dérober, même en par- tie, sans que, dans la même mesure, elle perde ses raisons d’être. Il n’est pas besoin de montrer que, dans un tel état d’ébranle- ment, les moindres causes de découragement peuvent aisément donner naissance aux résolutions désespérées. Si la vie ne vaut pas la peine qu’on la vive, ; tout devient prétexte à s’en débar- rasser. Mais ce n’est pas tout. Ce détachement ne se produit paiç seu-