Page:Durkheim - Le Suicide, Alcan, 1897.djvu/259

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LE SUICIDE ALTRUISTE. 237 même de la femme par rapport au mari. Quant aux vieillards, s’ils sont obligés de ne pas attendre la mort, c’est vraisembla- blement, au moins dans un très grand nombre de cas, pour des raisons religieuses. En effet, c’est dans le chef de la famille qu’est censé résider l’esprit qui la protège. D’autre part, il est admis qu’un Dieu qui habite un corps étranger participe à la vie de ce dernier, passe par les mêmes phases de santé et de mala- die et vieillit en même temps. L’âge ne peut donc diminuer les forces de l’un sans que l’autre soit affaibli du même coup, sans que le groupe, par suite, soit menacé dans son existence puis- qu’il ne serait plus protégé que par une divinité sans vigueur. Voilà pourquoi, dans l’intérêt commun, le père est tenu de ne pas attendre l’extrême hmite de la vie pour transmettre à ses successeurs le dépôt précieux dont il a la garde W. Cette description suffit à déterminer de quoi dépendent ces suicides. Pour que la société puisse ainsi contraindre certains de ses membres à se tuer, il faut que la personnalité indivi- duelle compte alors pour bien peu de chose. Car, dès qu’elle commence à se constituer, le droit de vivre est le premier qui lui soit reconnu; du moins, il n’est suspendu que dans des cir- constances très exceptionnelles, comme la guerrg/j^ais cette fai- ble individuation ne peut elle-même avoir qu’une seule cause. Pour que l’individu tienne si peu de place dans la vie collective, il faut qu’il soit presque totalement absorbé dans le groupe et, par conséquent, que celui-ci soit très fortement intégré) Pour que les parties aient aussi peu d’existence propre, il faut que le tout forme une masse compacte et continue. Et en effet, nous avons montré ailleurs que cette cohésion massive est bien celle des sociétés où s’observent les pratiques précédentes (2). Comme êtres qui lui tiennent de près. Mais cette préoccupation même implique que serviteurs et clients sont étroitement subordonnés au maître, qu’ils en sont inséparables et que, de plus, pour éviter les malheurs qui résulteraient de la persistance de l’Esprit sur cette terre, ils doivent se sacrifier dans l’intérêt commun. (1) V. Frazer, Golden Bough hc. cit. et passim. (2) V. Division du travail social, passim.