Page:Durkheim - Le Suicide, Alcan, 1897.djvu/261

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nir; car tout suicide altruiste n’est pas nécessairement obligatoire. Il en est qui ne sont pas aussi expressément imposés par la société, mais qui ont un caractère plus facultatif. Autrement dit, le suicide altruiste est une espèce qui comprend plusieurs variétés. Nous venons d’en déterminer une; voyons les autres.

Dans ces mêmes sociétés dont nous venons de parler ou dans d’autres du même genre, on observe fréquemment des suicides dont le mobile immédiar et apparent est des plus futiles. Tite-Live, César, Valère-Maxime nous parlent, non sans un étonnement mêlé d’admiration, de la tranquillité avec laquelle les barbares de la Gaule et de la Germanie se donnaient la mort[1]. Il y avait des Celtes qui s’engageaient à se laisser tuer pour du vin ou de l’argent[2]. D’autres affectaient de ne se retirer ni devant les flammes de l’incendie ni devant les flots de la mer[3]. Les voyageurs modernes ont observé des pratiques semblables dans une multitude de sociétés inférieures. En Polynésie, une légère offense suffit très souvent à déterminer un homme au suicide[4]. Il en est de même chez les Indiens de l’Amérique du Nord; c’est assez d’une querelle conjugale ou d’un mouvement de jalousie pour qu’un homme ou une femme se tuent[5]. Chez les Dacotahs, chez les Creeks, le moindre désappointement entraîne souvent aux résolutions désespérées[6]. On connaît la facilité avec laquelle les Japonais s’ouvrent le ventre pour la raison la plus insignifiante. On rapporte même qu’il s’y pratique une sorte de duel étrange où les adversaires luttent, non d’habileté à s’atteindre mutuellement, mais de dextérité à s’ouvrir le ventre de leurs propres mains[7]. On signale des faits analo-

  1. César, Guerre des Gaules, VI, 14. — Valère-Maxime, VI, 11 et 12. — Pline, Hist, nat, IV, 12.
  2. Posidonius, XXIII, ap.Athen. Deipno, IV, 164.
  3. Elieu, XII, 23.
  4. Waitz, Anthropologie der Naturroelkery t. VI, p. 115.
  5. Ibid., t. III, 1« Hœlfte, p. 102.
  6. Mary Eastman, Dacotah, p. 89, 169. — Lombroso, L’Uomo delinquente, 1884, p. 51.
  7. Lisle, op. citf p. 333.