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Mais ce sont des cas isolés qui ne se produisent qu’exceptionnellement[1]. Cependant, aujourd’hui encore, il existe parmi nous un milieu spécial où le suicide altruiste est à l’état chronique : c’est l’armée.

II.

C’est un fait général dans tous les pays d’Europe que l’aptitude des militaires au suicide est très supérieure à celle de la population civile du même âge. La différence en plus varie entre 25 et 900 0/0 (V. tableau XXIII).

TABLEAU XXIII

Comparaison des suicides militaires et des suicides civils dans les principaux pays d’Europe.

Suicide pour 1 million de soldats. Suicide pour 4 million de civils du même âge. Coefficient d'aggravation par rapport aux civils.
Autriche (1876-90) 1.253 122 10
États-Unis (1870-84) 680 80 8.5
Italie(1876-90) 407 77 5.2
Angleterre (1876-90) 209 79 2.6
Wurtemberg (1846-58) 320 170 1.92
Saxe (1847-58) 640 369 1.77
Prusse (1876-90) 607 394 1.50
France (1876-90) 333 265 1.25
  1. Il est vraisemblable que les suicides si fréquents chez les hommes de la Révolution étaient dus, au moins en partie, à un état d’esprit altruiste. En ces temps de luttes intérieures, d’enthousiasme collectif, la personnalité individuelle avait perdu de sa valeur. Les intérêts de la patrie ou du parti primaient tout. La multiplicité des exécutions capitales provient, sans doute, de la même cause. On tuait aussi facilement qu’on se tuait.