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Page:Durkheim - Le Suicide, Alcan, 1897.djvu/282

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260 LE SUICIDE. cipline est devenue moins rigide, moins compressive de Tindi- vida (M. Il est d’ailleurs remarquable que, dans ces mêmes so- ciétés et pendant le même temps, les suicides civils n’ont fait qu’augmenter. C’est une nouvelle preuve que la cause dont ils dépendent est de nature contraire à celle qui fait le plus généra- lement l’aptitude spécifique des soldats. Tout prouve donc que le suicide militaire n’est qu’une forme du suicide altruiste. Assurément, nous n’entendons pas dire que tous les cas particuliers qui se produisent dans les régi- ments ont ce caractère et cette origine. Le soldat, en revêlant l’uniforme, ne devient pas un homme entièrement nouveau ; les effets de l’éducation qu’il a reçue, de l’existence qu’il a menée jusque-là ne disparaissent pas comme par enchantement; et d’ailleurs, il n’est pas tellement séparé du reste de la société qu’il ne participe pas à la vie commune. 11 peut donc se faire que le suicide qu’il commet soit quelquefois civil par ses causes et par sa nature. Mais une fois qu’on a éliminé ces cas épars, sans liens entre eux, il reste un groupe compact et homogène, qui comprend la plupart des suicides dont Tarmée est le théâtre et qui dépend de cet état d’allruisme sans lequel il n’y a pas d’esprit militaire. C’est le suicide des sociétés inférieures qui survit parmi nous parce que la morale militaire est elle-même, par certains côtés, une survivance de la morale primitive (2). Sous l’influence de celte prédisposition, le soldat se tue pour la moindre contrariété, pour les raisons les plus futiles, pour un refus de permission, pour une réprimande, pour une punition injuste, pour un arrêt dans l’avancement, pour une question de point d’honneur, pour un accès de jalousie passagère ou même, tout simplement, parce que d’autres suicides ont eu lieu sous ses yeux ou à sa connaissance. Voilà, en effet, d’où provien- (1) Nous ne voulons pas dire que les individus souffraient de cette com- pression et ne tuaient parce qu’ils en souffraient. Ils se tuaient davantage parce qu’ils étaient moins individualisés. (2) Ce qui ne veut pas dire qu’elle doive, dès à présent, disparaître. Ces sur- vivances ont leurs raisons d’être et il est naturel qu’une partie du passé sub- siste au sein du présent. La vie est faite de ces contradictions.