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Page:Durkheim - Le Suicide, Alcan, 1897.djvu/301

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LE SUICIDE ANOMIQUE. 279 tous et qu’aucun avantage ne soit fait aux plus utiles et aux plus méritants? Mais alors, il faudrait une discipline bien autrement énergique pour faire accepter de ces derniers un traitement sim- plement égal à celui des médiocres et des impuissants. Seulement cette discipline, tout comme la précédente, ne peut être utile que si elle est considérée comme juste par les peuples qui y sont soumis. Quand elle ne se maintient plus que par habi- tude et de force, la paix et Tharmonie ne subsistent plus qu’en apparence; Tesprit d’inquiétude et le mécontentement sont la- tents; les appétits, superQciellement contenus, ne tardent pas à se déchaîner. C’est ce qui est arrivé à Rome et en Grèce quand les croyances sur lesquelles reposait la vieille organisation du pa- triciat et de la plèbe furent ébranlées, dans nos sociétés modernes quand les préjugés aristocratiques commencèrent à perdre leur ancien ascendant. Mais cet état d’ébranlement est exceptionnel ; il n’a lieu que quand la société traverse quelque crise maladive. Normalement, Tordre collectif est reconnu comme équitable par . la grande généralité des sujets. Quand donc nous disons qu’une autorité est nécessaire pour l’imposer aux particuliers, nous n’en- tendons nullement que la violence soit le seul moyen de l’éta- blir. Parce que cette réglementation est destinée à contenir les passions individuelles, il faut qu’elle émane d’un pouvoir qui domine les individus; mais il faut également que ce pouvoir soit obéi patr respect et non par crainte. Ainsi, il n’est pas vrai que l’activité humaine puisse être affranchie de tout frein. Il n’est rien au monde qui puisse jouir d’un tel privilège. Car tout être, étant partie de l’univers, est relatif au reste de l’univers; sa nature et la manière dont il la manifeste ne dépendent donc pas seulement de lui-même, mais des autres êtres qui, par suite, le contiennent et le règlent. A cet égard, il n’y a que des différences de degrés et de formes entre le minéral et le sujet pensant; Ce que l’homme a de carac- téristique, c’est que le frein auquel il est soumis n’est pas phy- _ sique, mais moral, c’est-à-dire social. Il reçoit sa loi non d’un milieu matériel qui s’impose brutalement à lui, mais d’une con- / science supérieure à la sienne et dont il sent la supériorité. Parce /