Page:Durkheim - Le Suicide, Alcan, 1897.djvu/300

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278 J.E SUICIDE. une autre, ce qu’il a ne saurait le satisfaire. Il ne suffit donc pas que le niveau moyen des besoins soit, pour chaque condition, réglé par le sentiment public, il faut encore qu’une autre régle- mentation, plus précise, fixe la manière dont les différentes con- ditions doivent être ouvertes aux particuliers. Et en effet, il n’est pas de société où cette réglementation n’existe. Elle varie r^elon les temps et les lieux. Jadis elle faisait de la naissance le principe presque exclusif de la classification sociale; aujour- d’hui, elle ne maintient d’autre inégalité native que celle qui résulte de la fortune héréditaire et du mérite. Mais, sous ces formes diverses, elle a partout le même objet. Partout aussi, elle n’est possible que si elle est imposée aux individus par une autorité qui les dépasse, c’est-à-dire par l’autorité collective. Car elle ne peut s’établir sans demander aux uns ou aux autres et, ’ plus généralement aux uns et aux autres, des sacrifices et des concessions, au nom de l’intérêt public. Certains, il est vrai, ont pensé que cette pression morale de- viendrait inutile du jour où la situation économique cesserait d’être transmise héréditairement. Si, a-t-on dit, l’héritage étant aboli, chacun entre dans la vie avec les mêmes ressources, si la lutte entre les compétiteurs s’engage dans des conditions de par- faite égalité, nul n’en pourra trouver les résultats injustes. Tout le monde sentira spontanément que les choses sont comme elles doivent être. Il n’est effectivement pas douteux que, plus on se rapprochera de cette égalité idéale, moins aussi la contrainte sociale sera nécessaire. Mais ce n’est qu’une question de degré. Car il y aura toujours une hérédité qui subsistera, c’est celle des dons naturels. L’intelligence, le goût, la valeur scientifique, artistique, httéraire, industrielle, le courage, l’habileté manuelle sont des forces que chacun de nous reçoit en naissant, comme le proprié- taire-né reçoit son capital, comme le noble, autrefois, recevait son titre et sa fonction. Il faudra donc encore une discipline morale pour faire accepter de ceux que la nature a le moins fa- vorisés la moindre situation qu’ils doivent au hasard de leur naissance. Ira-t-on jusqu’à réclamer que le partage soit égal pour