Aller au contenu

Page:Durkheim - Le Suicide, Alcan, 1897.djvu/303

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

LE SUICIDE ANOMIQUE. 281 quelles sont les revendications et les espérances légitimes, quelles J^ sont celles qui passent la mesure. Par suite, il n’est rien à quoi ,[ on ne prétende. Pour peu que cet ébranlement soit profond, il «. atteint même les principes qui président à la répartition des ci- ^ toyens entre les différents emplois. Car comme les rapports t entre les diverses parties de la société sont nécessairement modi- ^ fiés, les idées qui expriment ces rapports ne peuvent plus res- J ter les mêmes. Telle classe, que la crise a plus spécialement favo- -^ risée, n’est plus disposée à la même résignation, et, par contre- n^ coup, le spectacle de sa fortune plus grande éveille autour et au-dessous d’elle toute sorte de convoitises. Ainsi, les appétits, v ;N n’étant plus contenus par une opinion désorientée, ne savent ^ plus où sont les bornes devant lesquelles ils doivent s’arrêter.i ^-> D’ailleurs, à ce même moment, ils sont dans un état d’éréthisme ^^ î naturel par cela seul que la vitalité générale est plus* intense. -j Parce que la prospérité s’est accrue, les désirs sont exaltési La "^ proie plus riche qui leur est offerte les stimule, les rend plus exi- ^’^ > géants, plus impatients de toute règle, alors justement que les /y ’"^ règles traditionnelles ont perdu de leur autorité. L’état de dé- 3 > règlement ou d’anomie esi dojiç^encore renforcéj)ar ce fait que ^^ les passions sont moins disciplinées au moment même où elles rr "^ auraient besoin d’une plus forte discipline.^ ^^^’^ Mais alors leurs exigences mêmes font qw’il est impossible de les satisfaire. Les ambitions surexcitées vont toujours au delà ^ des résultats obtenus, quels qu’ils soient; car elles ne sont pas averties qu’elles ne doivent pas aller plus loin. Rien donc ne les contente et toute cette agitation s’entretient perpétuellement elle- même sans aboutir à aucun apaisement. Surtout, comme cette course versun butinsaisissablenepeut procurerd’autre plaisir que celui de la course elle-même, si toutefois c’en est un, qu’elle vienne à être entravée, et l’on reste les mains entièrement vides. Or, il ^ se trouve qu’en même temps la lutte devient plus violente et plus douloureuse, à la fois parce qu’elle est moins réglée et que les compétitions sont plus ardentes. Toutes les classes sont aux prises parce qu’il n’y a plus de classement établi. L’effort est donc plus considérable au moment où il devient plus improduc- "^