Page:Durkheim - Le Suicide, Alcan, 1897.djvu/304

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282 LE SUICIDE. tif. Commeat, dans ces conditions , la volonté de vivre ne faibli> rait-elle pas? Cette explication est confirmée par la singulière immunité dont jouissent les pays pauvres. Si la pauvreté protège cootre le suicide, c’est que, par elle-même, elle est un frein. Quoiqu’on fasse, les désirs, dans une certaine mesure, sont obligés de compter avec les moyens ; ce qu’on a sert en partie de point de repère pour déterminer ce qu’on voudrait avoir. Par conséquent^ moins on possède, et moins on est porté à étendre sans limites le cercle de ses besoins. L’impuissance, en nous astreignant à la modération, nous y habitue, outre que, là où la médiocrité ost générale, rien ne vient exciter l’envie. La richesse, au con- traire, par lés pouvoirs qu’elle confère, nous donne l’illusion que lions ne relevons que de nous-mêmes. En diminuant la résistance que nous opposent les choses, elle nous induite croire qu’elles peuvent être indéfiniment vaincues. Or, moins on se sent limité, plus toute limitation paraît insupportable. Ce n’est donc pas sans raison que tant de religions ont célébré les bienfaits et la valeur morale de la pauvreté. C’est qu’elle est, en effet, la meilleure des écoles pour apprendre à l’homme à se contenir. En nous obli- geant à exercer sur nous une constante discipHne, elle nous pré- pare à accepter docilement la discipHne collective, tandis que la richesse, en exaltant l’individu, risque toujours d’éveiller cet esprit de rébellion qui est la source même de l’immoralité. Sans doute, ce n’est pas une raison pour empêcher l’humanité d’araé- horer sa condition matérielle. Mais si le danger moral qu’en- traîne tout accroissement de l’aisance n’est pas sans remède, encore faut-il ne pas le perdre de vue. . Si, comme dans les cas précédents, l’anomie ne se produisait jamais que par accès intermittents et sous forme de crises