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288 LE SUICIDE. L’anomie est donc, dans nos sociétés modernes, un facteur régulier et spécifique de suicides; elle est une des sources aux- quelles s’alimente le contingent annuel. Nous sojpmes, par conséquent, en présence d’un nouveau type quildoit être dis- tingué des autres. 11 en diffère en ce qu’il dépend, non de la’ manière dont les individus sont attachés à la société, mais de la façon dont elle les réglemente. ^e suicide égoïste vient de ce que les hommes n’aperçoivent plus de raison d’être à

la vie; le suicide altruiste de ce que cette raison leur paraît 
être en dehors de la vie elle-même ;£la troisième sorte de sui- 

cide, dont nous venons de constater l’existence, de ce que leur activité est déréglée et de ce qu’ils en souffrent. En raison de son origine, nous donnerons à cette dernière espèce le nom de suicide anomique. Assurément, ce suicide et le suicide égoïste ne sont pas sans rapports de parenté. L’un et l’autre viennent de ce que la société n’est pas suffisamment présente aux individus. Mais la sphère d’où elle est absente n’est pas la même dans les deux cas. Dans le suicide égoïste, c’est à l’activité proprement collective qu’elle fait défaut, la laissant ainsi dépourvue d’objet et de significa- tion. Dans le suicide anom ique, c’est aux passions proprement individuelles qu’elle manque, les laissant ainsi sans frein qui les règle. 11 en résulte que, malgré leurs relations, ces deux types restent indépendants l’un de l’autre. Nous pouvons rapporter à la société tout ce qu’il y a de social en nous, et ne pas savoir borner nos désirs ; sans .être un égoïste , on peut vivre à l’état d’anomie, et inversement. Aussi n’est-ce pas dans les mêmes milieux sociaux que ces deux sortes de suicides recrutent leur principale clientèle ; l’un a pour terrain d’élection les carrières intellectuelles, le monde où Ton pense, l’autre le monde indus- triel ou commercial.