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Page:Durkheim - Le Suicide, Alcan, 1897.djvu/339

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DIFFÉRENTS TYPES DE SUICIDES. 317

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n’est pas sans douceur, marque ses derniers moments. Il s’ana- lyse jusqu’au bout. Tel est le cas de ce négociant, dont parle Falret (*), qui se retire dans une forêt peu fréquentée et s’y laisse mourir de faim. Pendant une agonie qui avait duré près de trois semaines, il avait régulièrement tenu de ses impres- sions un journal qui nous a été conservé. Un autre s’asphyxie en soufflant avec la bouche le charbon qui doit lui donner la mort et note au fur et à mesure ses observations : « Je ne prétends pas, écrit-il, montrer plus de courage ou de lâcheté; je veux seulement employer le peu d’instants qui me restent à décrire les sensations qu’on éprouve en s’asphyxiant et la durée des souffrances (2) ». Un autre, avant de se laisser aller à ce qu’il ap- pelle « l’enivrante perspective du repos », construit un appareil compliqué, destiné à consommer sa fin sans que le sang puisse se répandre sur le plancher (3). On aperçoit aisément comment ces particularités diverses se rattachent au suicide égoïst e. Il n’est guère douteux qu’elles n’en soient la conséquence et l’expression individuelle. Miette paresse à ractionT)ce détachement mélancolique résultent de cet état d’indiyid uafion exagér ée par lequel nous avons défini ce type de suicide. Si l’individu s’isole, c’est que les liens qui l’unissaient aux autres êtres sont détendus ou brisés, c’est que la société, sur les points où il est en contact avec elle, n’est pas assez fortement intégrée. Ces vides qui séparent les consciences et les rendent étrangères les unes aux autres viennent précisé- ment du relâchement du tissu social. Enfinjje.caijaclèr.e_jntellec- tuel et méditatif_de_ces sortes de suicides s’explique sans peine, si l’on se rappelle que le suicide égoïste a pour accompagnement nécessaire un grand développement de la science et de l’intelli-- gence réfléchie. Il est évident, en effet, que, dans une société où la conscience est normalement nécessitée à étendre son champ d’action, elle est aussi beaucoup plus exposée à excéder (1) Hypochondrie et suicide, p. 316. (2) Brierre de Boîsmont, Du suicide, p. 198, (3) Ihid., p. 194.