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Page:Durkheim - Le Suicide, Alcan, 1897.djvu/342

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LE SUICIDE., table et qu’on croit hostile. La ferveur religieuse du fanatique qui se fait écraser avec béatitude sous le char de son idole ne ressemble pas à celle du moine atteint d’acedia ou aux remords du criminel qui met fin à ses jours pour expier son forfait. Mais, sous ces nuances diverses, les traits essentiels du phé- nomène restent les mêmes. C’est un suicide actif, qui contraste, par conséquent, avec le suicide déprimé dont il a été plus haut question. Ce caractère se retrouve même dans ces suicides plus simples du primitif ou du soldat qui se tuent soit parce qu’une légère offense a terni leur honneur, soit pour prouver leur courage. La facilité avec laquelle ils sont accomplis ne doit pas être confon- due avec le sang-froid désabusé de l’épicurien. La disposition à faire le sacrifice de sa vie ne laisse pas d’être une tendance active, alors même qu’elle est assez profondément enracinée pour agir avec l’aisance et la spontanéité de l’instinct. Un cas, qui peut être regardé comme le modèle de ce genre, nous est

rapporté par Leroy. Il s’agit d’un officier qui, après avoir, une 

première fois et sans succès, tenté de se pendre, se prépare à

recommencer, mais prend soin, au préalable, de consigner par 

écrit ses dernières impressions : « Etrange destinée que la mienne, dit-il! Je viens de me pendre, j’avais perdu connais- sance, la corde a cassé, je suis tombé sur le bras gauche... Les nouveaux préparatifs sont terminés, je vais bientôt recommen- cer, mais je vais fumer encore une dernière pipe; ce sera la dernière, j’espère. Je n’ai pas fait de difficultés la première fois, ça s’est assez bien passé ; j’espère que la seconde ira de même. Je suis aussi calme que si je prenais une&outte le matin. C’est assez extraordinaire, j’en conviens, mais d’est pourtant comme cela. Tout est vrai. Je vais mourir une seco<nde fois avec une conscience tranquille W ». Il n’y a sous cette tranquillité ni ironie, ni scepticisme, ni cette espèce de crispation involontaire que le viveur qui se tue ne réussit jamais à dissimuler complète- ment. Le calme est paèifait; aucune trace d’efforts, l’acte coule (1) Leroy, op. cit., p. 241. fiC