Page:Durkheim - Le Suicide, Alcan, 1897.djvu/346

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LE SUICIDE. 

suit. Est-ce ma faute si je trouve partout les bornes, si ce qui est fini n’a pour moi aucune caleur (*;? » Celte description achève de montrer les rapports et les diffé- rences du suicide égoïste et du suicide anomique, que notre analyse sociologique nous avait déjà permis d’apercevoir (2). Les suicidés de Tun et de l’autre type souffrent de ce qu’on a appelé le mal de Tinfini. Mais ce mal ne prend pas la nnrême forme dans les Jeux cas. Là, c’est l’intelligence réfléchie qui est atteinte et qui s’hypertrophie outre mesure; ici, c’est la sensibi- lité qui se surexcite et se dérègle. Chez l’un, la pensée, à force de se replier sur elle-même, n’a plus d’objet; chez l’autre, la pas- sion, ne reconnaissant plus de bornes, n’a plus de but. Le pre- mier se perd dans Tinfîni du rêve, le second, dans l’infini du désir. Ainsi, même la formule psychologique du suicidé n’a pas la simplicité qu’on croit vulgairement. On ne l’a pas défini quand on a dit de lui qu’il est lassé de l’existence, dégoûté de la vie, etc. En réalité, il y a des sortes très différentes de suicidés et ces différences sont sensibles dans la manière dont le suicide s’accomplit. On peut ainsi classer acles et agents en un certain nombre d’espèces : or ces espèces correspondent, dans leurs traits essentiels, aux types de suicides que nous avons anté- rieurement constitués d’après la nature des causes sociales dont ils dépendent. Elles en sont comme le prolongement à l’inté- rieur des individus.

convient toutefois d’ajouter qu’elles ne se présentent pas 

toujours dans l’expérience à l’état d’isolement et de pureté. Mais il arrive très souvent qu’elles se combinent entre elles de manière à donner naissance ù des espèces composées; des caractères appartenant à plusieurs d’entre elles se retrouvent conjointement dans un même suicide. La raison en est que les différentes causes sociales du suicide peuvent elles-mêmes agir simultanément sur un même individu et mêler en lui leurs effets. C’est ainsi que des malades sont en proie à des délires (1) René, édition Vialat, Paris, 1849, p. 112. (2) V. plus haut, p. 288.