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Page:Durkheim - Le Suicide, Alcan, 1897.djvu/345

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DIFFÉRENTS TYPES DE SUICIDES. 323 tendu, pour une critique un peu sévère, ou parce que leur vogue cesse de s’accroître (^). Il en est d’autres encore qui, sans avoir à se plaindre des hommes ni des circonstances, en viennent d’eux-mêmes à se lasser d’une poursuite sans issue possible, où leurs désirs s’irritent au ]ieu de s’apaiser. Ils s’en prennent alors à la vie en général et l’accusent de les avoir trompés. Seulement, la vaine agita- tion à laquelle ils se sont livrés laisse derrière elle une sorte d’épuisement qui empêche les passions déçues de se mani- fester avec la même violence que dans les cas précédents. Elles se sont comme fatiguées à la longue et sont ainsi devenues moins capables de réagir avec énergie. Le sujet tombe donc dans une sorte de mélancolie qui, par certains côtés, rappelle celle de l’égoïste intellectuel, mais n’en a pas le charme langou- reux. Ce qui y domine, c’est un dégoût plus ou moins irrité de l’existence. C’est déjà cet état d’âme que Sénèque observait chez ses contemporains en même temps que le suicide qui en résulte. « Le mal qui nous travaille, dit-il, n’est pas dans les lieux où nous sommes, il est en nous. Nous sommes sans forces pour supporter quoi que ce soit, incapables de souffrir la douleur, impuissants à jouir du plaisir, impatients de tout. Combien de gens appellent la mort, lorsqu’après avoir essayé de tous les changements, ils se trouvent revenir aux mêmes sensations, sans pouvoir rien éprouver de nouveau (^) ». De nos jours, un des types où s’est peut-être le mieux incarné ce genre d’esprit, c’est le René de Chateaubriand. Tandis que Raphaël est un mé- ditatif qui s’abîme en lui-même, René est un inassouvi. « On m’accuse, s’écrie-t-il douloureusement, d’avoir des goûts in- constants, de ne pouvoir jouir longtemps de la même chimère, d’être la proie d’une imagination qui se hâte d’arriver au fond de mes plaisirs comme si elle était accablée de leur durée; on m’accuse de passer toujours le but que je puis atteindre : hélas ! je cherche seulement un bien inconnu dont l’instinct me pour- (1) V. des cas dans Brierre de Boismont, p. 187-189. (2) De tranquillitate animi,îîy suh fine. Cf. Lettre XXIV.