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Page:Durkheim - Le Suicide, Alcan, 1897.djvu/353

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DIFFÉRENTS TYPES DE SUICIDES. 331 Thabitude de chercher la mort en se faisant écraser sous un train se généralise. Le tableau qui figure la part relative des différents modes de suicide dans Tensemble des morts volon- taires traduit donc en partie Tétat de la technique industrielle, de l’architecture la plus répandue, des connaissances scienti- fiques, etc. A mesure que l’emploi de l’électricité se vulgarisera, les suicides à l’aide de procédés électriques deviendront aussi plus fréquents. Mais la cause peut-être la plus efficace, c’est la dignité rela- tive que chaque peuple et, à l’intérieur de chaque peuple, cha- que groupe social attribue aux différents genres de mort. Il s’en faut, en effet, qu’ils soient tous mis sur le même plan. Il en est qui passent pour plus nobles, d’autres qui répugnent comme vulgaires et avilissants ; et la manière dont ils sont clas- sés par l’opinion change avec les communautés. A l’armée, la décapitation est considérée comme une mort infamante; ailleurs, ce sera la pendaison. Voilà comment il se fait que le suicide par strangulation est beaucoup plus répandu dans les campagnes que dans les villes et dans’les petites villes que dans les grandes. C’est qu’il a quelque chose de violent et de grossier qui froisse la douceur des mœurs urbaines et le culte que les classes culti- vées ont pour la personne humaine. Peut-être aussi cette répul- sion tient-elle au caractère déshonorant que des causes histo- riques ont attaché à ce genre de mort et que les affinés des villes sentent avec une vivacité que la sensibilité plus simple du rural ne comporte pas. La mort choisie par le suicidé est donc un phénomène tout à fait étranger à. la nature même du suicide. Si intimement que semblent rapprochés ces deux éléments d’un même acte, ils sont, en réalité, indépendants l’un de l’autre. Du moins, il n’y a entre eux que des rapports extérieurs de juxtaposition. Car, s’ils dépendent tous deux de causes sociales, les états sociaux qu’ils expriment sont très différents. Le premier n’a rien à nous apprendre sur le second ; il ressortit à une tout autre étude. C’est pourquoi, bien qu’il soit d’usage d’en traiter assez longue- ment à propos du suicide, nous ne nous y arrêterons pas davan-