Page:Durkheim - Le Suicide, Alcan, 1897.djvu/411

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Il y a d’abord l’influence semblable que le sexe exercerait sur le suicide et sur l’homicide. À parler exactement, cette influence du sexe est beaucoup plus un effet de causes sociales que de causes organiques. Ce n’est pas parce que la femme diffère physiologiquement de l’homme qu’elle se tue moins ou qu’elle tue moins ; c’est qu’elle ne participe pas de la même manière à la vie collective. Mais de plus, il s’en faut que la femme ait le même éloignement pour ces deux formes de l’immoralité. On oublie, en effet, qu’il y a des meurtres dont elle a le monopole ; ce sont les infanticides, les avortements et les empoisonnements. Toutes les fois que l’homicide est à sa portée, elle le commet aussi ou plus fréquemment que l’homme. D’après Oettingen[1], la moitié des meurtres domestiques lui serait imputable. Rien n’autorise donc à supposer qu’elle ait, en vertu de sa constitution congénitale, un plus grand respect pour la vie d’autrui ; ce sont seulement les occasions qui lui manquent, parce qu’elle est moins fortement engagée dans la mêlée de la vie. Les causes qui poussent aux crimes de sang agissent moins sur elle que sur l’homme, parce qu’elle se tient davantage en dehors de leur sphère d’influence. C’est pour la même raison qu’elle est moins exposée aux morts accidentelles ; sur 100 décès de ce genre, 20 seulement sont féminins.

D’ailleurs, même si l’on réunit sous une seule rubrique tous les homicides intentionnels, meurtres, assassinats, parricides, infanticides, empoisonnements, la part de la femme dans l’ensemble est encore très élevée. En France, sur 100 de ces crimes, il y en a 38 ou 39 qui sont commis par des femmes, et même 42 si l’on tient compte des avortements. La proportion est de 51 0/0 en Allemagne, de 52 0/0 en Autriche. Il est vrai qu’on laisse alors de côté les homicides involontaires ; mais c’est seulement quand il est voulu que l’homicide est vraiment lui même. D’autre part, les meurtres spéciaux à la femme, infanticides, avortements, meurtres domestiques, sont, par leur nature, difficiles à découvrir. Il s’en commet donc un grand

  1. Moralstatistik, p. 526.