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Page:Durkheim - Le Suicide, Alcan, 1897.djvu/443

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CONSÉQUENCES PRATIQUES. 421 minologiste italien, d’après lequel Taccroissement des délits aurait pour cause et pour compensation l’accroissement paral- lèle des transactions économiqueslV). Si elle était admise, on devrait conclure que la constitution propre aux sociétés supé- rieures implique une stimulation exceptionnelle des courants suicidop^ènes; par conséquent, Textrême violence qu’ils ont actuellement, étant nécessaire, serait normale, et il n’y aurait pas à prendre contre elle de mesures spéciales, à moins qu’on n’en prenne en même temps contre la civilisation (2). Mais un premier fait doit nous mettre en garde contre ce rai- sonnement. A Rome, au moment où l’empire atteignit son apogée, on vit également se produire une véritable hécatombe de morts volontaires. On aurait donc pu soutenir alors, comme maintenant, que c’était le prix du développement intellectuel auquel on était parvenu et que c’est une loi des peuples cul- tivés de fournir au suicide un plus grand nombre de victi- mes. Mais la suite de l’histoire a montré combien une telle induction eût été peu fondée; car cette épidémie de suicides ne dura qu’un temps, tandis que la culture romaine a survécu. Non seulement les sociétés chrétiennes s’en assimilèrent les fruits les meilleurs, mais, dès le xvi® siècle, après les décou- vertes de l’imprimerie, après la Renaissance et la Réforme, elles avaient dépassé, et de beaucoup, le niveau le plus élevé auquel fussent jamais arrivées les sociétés anciennes. Et pour- tant, jusqu’au xviii* siècle, le suicide ne fut que faiblement dé- veloppé. Il n’était donc pas nécessaire que le progrès fît couler tant de sang, puisque les résultats en ont pu être conservés et même dépassés sans qu’il continuât à avoir les mêmes effets homicides. Mais alors n’est-il pas probable qu’il en est de même (1) M. Poletti; nous ne connaissons d’ailleurs sa théorie que par Texposé qu’en a donné M. Tarde, dans sa Criminalité comparée, p. 72. (2) On dit, il est vrai (Oettingen), pour échapper à cette conclusion, que le suicide est seulement un des mauvais côtés de la civilisation (Sckattenseite) et qu’il est possible de le réduire sans la combattre. Mais c’est se payer de mots. S’il dérive des causes mêmes dont dépend la culture, on ne peut dimi- nuer l’un sans amoindrir l’autre ; car le seul moyen de l’atteindre efficacement est d’agir sur ses causes.