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Page:Durkheim - Le Suicide, Alcan, 1897.djvu/442

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lion qui joue ce rùle est nécessairement celle où les idées de suicide germent facilement.

Mais de ce qu’un courant suicidogène d’une certaine intensité doive ùtre considéré comme un phénomène de sociologie nor- male, il ne suit pas que tout courant du même genre ait nécessairement le même caraclère. Si l’esprit de renoncement, l'amour du progrès, le goût de l'individuation ont leur place dans toute espèce de société et s’ils ne peuvent pas exister sans devenir, sur certains points, générateurs de suicides, encore faut-il qu’ils n’aient cette propriété que dans une certaine mesure, variable selon les peuples. Elle n’est fondée que si elle ne dépasse pas certaines limites. De même, le penchant collectif à la tristesse n’est sain qu’à condition de n’être pas prépondérant. Par conséquent, la question de savoir si l’étal présent du suicide chez les nations civilisées est normal ou non, n’est pas tranchée par ce qui précède. Il reste à rechercher si l’aggravation énorme qui s’est produite depuis un siècle n’est pas d’origine pathologique.

On a dit qu’elle était la rançon de la civilisation. Il est certain qu’elle est générale en Europe et d’aulant plus prononcée que les nations sont parvenues à une plus haute culture. Elle a été, en effet, de 411 0/0 en Prusse de 1826ii 1890, de 385 0/0 en France de 1826 à 1888, de 318 0/0 dans l’Autriche allemande de 1841-45 à 1877, de 238 0/0 en Saxe de 1841 à 1875, de 212 0/0 en Belgique de 1841 à 1889, de 72 0/0 seulement en Suède de 1841 à 1871-75, de 35 0/0 en Danemark pendant la même période. L’ItaHe, depuis 1870, c’est-à-dire depuis le mo- ment où elle est devenue l’un des agents de la civilisation euro- péenne, a vu l’effectif de ses suicides passer de 788 cas à 1.653, soit une augmentation de 109 0/0 en vingt ans. De plus, partout, c’est dans les régions les plus cultivées que le suicide est le plus répandu. On a donc pu croire qu’il y avait un lion entre le progrès des lumières et celui des suicides, que l’un ne pouvait pas aller sans l’autre (*); c’est une thèse analogue à celle de ce cri-

(1) Oettingen, Ueber aciiien nttd chro lischen Selbstmord^ p. 28-32 et Mo- rahtatisUk, p. 761.